Une dépréciation de 10% de l’euro est-elle assurément profitable ?

FLASH BSI ECONOMICS– 11 février 2014

Actualités : une dépréciation de l’euro de 10% augmenterait le PIB de 0,6 point selon le CAE. Plusieurs personnalités politiques demandent une dépréciation de la monnaie unique pour favoriser l’économie française. Ces prévisions sont-elles justifiées et sur quelles hypothèses sont-elles fondées ?

Le solde commercial en France  (différence des exportations et importations de biens et services) est un déterminant très significatif du solde extérieur courant (somme du solde commercial, du solde des transferts en capital et du solde des revenus et transferts courants). Les derniers chiffres publiés le 7 février 2014 par le Ministère du Commerce Extérieur montrent une réduction de 9% du déficit commercial entre 2012 et 2013 soutenue par (1) une baisse de la facture énergétique de 5,1%, liée à un effet change qui accentue la correction du prix du baril de Brent en dollars à 5,8% ; (2) une dynamique des exportations encore atones avec une moindre contribution des exportations, le solde commerciale s’améliorant par une contribution positive plus forte des importations ; (3) une demande extérieure pour les biens français qui reprend progressivement et qui redevient durablement positive sous l’impulsion d’une reprise du commerce avec les principaux pays développés en 2013.

L’effet d’une dépréciation de 10% de l’euro, après avoir connu une appréciation en glissement annuel en 2013, pourrait sur deux ans améliorer le PIB de 1,2 point, relancer l’indice des prix à la consommation de 1,2 point et créer 149 000 emplois supplémentaires (Rapport Economique et Social 2014). Ce rapport se double d’une publication du Conseil d’Analyse Economique qui montre les effets positifs sur le solde commercial d’une dépréciation de 10% de l’euro face au dollar. Quelles sont les limites de ces estimations qui pourraient ne pas rendre profitable une dépréciation de l’euro face au dollar ?

Selon les chiffres 2013 publiés par les Douanes françaises,  48% du total des importations et 46% du total des exportations sont liés à des économies hors Zone Euro. Selon le rapport du CAE de janvier 2014, une dépréciation de l’euro de 10% augmenterait la valeur des exportations françaises hors Zone Euro de 7-8% et celle des importations de 3,5%.

En appliquant ces données et en supposant une croissance nulle des importations et exportations avec la Zone Euro, le total des exportations augmenterait de 3,2% et celui des importations de 1,7%. Avec un taux de couverture (exportations / importations) de 0,87, une élasticité des exportations au taux de change dollar euro de 0,74 et une élasticité des importations au taux de change dollar euro de 0,04 sur les deux dernières années, alors une dépréciation du change euro dollar améliorerait, en théorie, la balance courante de 3,58% sur un an. L’étude du CAE suppose in fine une élasticité des importations au taux de change de 0,35 et des exportations au taux de change de 0,70 à 0,80. En prenant une fourchette basse, cela impliquerait une amélioration de la balance courante de 0,4% en glissement annuel.

Cependant, l’effet sur le solde de la balance commerciale et donc sur le solde des paiements courants a une importance relative au vu de la faible contribution du solde commercial au PIB français. En revanche, l’impact d’une dévaluation du change dollar euro sur le volume des exportations pourrait s’avérer significatif. En effet, cette hausse des volumes d’exportation serait rendue possible par une augmentation de l’investissement privé  mais pourrait  aussi stimuler une possible contraction de la demande privée sur les biens importés.

La somme des élasticités (exportations et importations) déduites du rapport du CAE sont, en valeur absolue, au moins supérieures à 1. Cette hypothèse est essentielle car elle permet de suivre la condition de Marshall-Lerner ou condition des élasticités critiques. Cette hypothèse implique qu’une dépréciation du taux de change a un effet quantité plus important que l’effet prix : la balance courante doit toujours s’améliorer par un effet volume important sur les exportations.

Or cette condition nécessite (1) une somme des élasticités supérieure à 1 et (2) un taux de couverture de 1. La première condition n’est pas toujours respectée à moyen terme : sur la dernière année l’élasticité des importations aux variations du taux de change est proche de 0% tandis que celle des exportations reste proche de l’estimation historique proposée par le CAE. La seconde condition implique que les exportations soient égales aux importations : il faut remonter à début 2004 pour avoir un taux de couverture (exportations/importations) à l’équilibre.  Une balance commerciale déficitaire s’accompagne d’un effet valeur plus important sur les importations dans un premier temps. Ainsi, l’hypothèse du CAE d’une hausse du prix des importations de 2% pourrait être sous-estimée, d’où une période plus longue pour atteindre l’équilibre de la balance commerciale (l’effet volume s’ajustant plus lentement avant de dépasser l’effet valeur).

Or, la longévité de cette période : (1) limitera les effets bénéfiques d’une reprise durable de la demande adressée à la France qui nécessitera des hypothèses d’autant plus restrictives sur les comportements de marge des entreprises exportatrices, (2) augmentera la sensibilité de la France à une reprise de la croissance des sous-composantes volatiles à l’indice des prix à la consommation (énergie, alimentation), (3) exposera la compétitivité prix des entreprises exportatrices face à un éventuel regain des coûts de production (hausse salariale si hausse de l’inflation, forte hausse des coûts intermédiaires si importés) et (4) pourrait contraindre une reprise durable de la consommation privée (56% du PIB) et donc contraindre ces entreprises à augmenter d’autant plus leur exposition aux débouchés extérieurs donc in fine leur sensibilité à de nouvelles variations du taux de change dollar euro.

A.J.

Références

Conseil d’analyse économique, « L’euro dans la guerre des monnaies », n°11, janvier 2014.

Prévisions économiques de la Commission Européenne de l’Automne 2013

Projet de loi de finances 2014 : rapport économique, social et financier

BSI Economics, « Euro fort, Euro faible: approche par les mécanismes économiques », 21 mars 2013.

 

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