Opposition entre tightening et tapering : courbe des taux

Opposition entre tightening et tapering : De l’importance de la partie courte de la courbe des taux

Résumé :

- L’amélioration des conditions économiques aux Etats-Unis légitime les anticipations d’un ralentissement à court-terme par la Fed de son programme d’achat de titres.

- Un tel développement est susceptible d’avoir des effets importants sur la courbe des taux et notamment sur la partie longue de cette dernière.

- L’efficacité de la politique monétaire américaine à venir repose ainsi en partie sur la capacité de la Fed à agir séparément sur les parties courte et longue de la courbe des taux, ce qui nécessite une bonne perception de ses outils.

- Ces évolutions présentent des risques pour les marchés financiers, qui ont pleinement profité des afflux de liquidité, et dont la solidité n’est pas encore éprouvée.

Suite à l’amélioration des conditions économiques aux Etats-Unis au cours des derniers mois [1] et à une communication de la banque centrale américaine (Fed) plus volontaire, visant à souligner la conditionnalité des politiques monétaires non conventionnelles et leur possible retrait, le ralentissement du programme d’achat de titres (Quantitative Easing 3 ou QE 3)de la Fed est un sujet qui demeure prégnant.

S’il est trop tôt encore pour en estimer tous les impacts, notamment macroéconomiques, force est de constater que ce programme a acquis une place cruciale dans les dynamiques des marchés financiers. Preuve en est que les ajustements de l’été 2013 sur les marchés obligataires ont été importants, voire brutaux, tant aux Etats-Unis que dans d’autres économies, développées comme émergentes (Graphiques 1 et 2).

Graphique 1 :

 

Source : BSI Economics, Macrobond, dernier point : 01/12/2013

Graphique 2 :

 

Source : BSI Economics, Macrobond, dernier point : 01/12/2013

Certes, les anticipations des agents quant aux dates précises du ralentissement et aux modalités du retrait divergent mais elles s’accordent quant à un retrait prochain, plus probablement au cours du premier trimestre 2014. La présente contribution n’a pas vocation à prendre parti dans le calendrier du ralentissement du QE 3 mais tente de mettre en avant la différence existant entre ce ralentissement (Tapering) et un resserrement de la politique monétaire suite à une hausse des taux directeurs de la Fed (Tightening). En effet, ces derniers sont, depuis début 2009 à un taux plancher (Zero Lower Bound) et les modalités de leur remontée demeurent une problématique complexe.

Les différents programmes de Quantitative Easing, et particulièrement le QE 3, ont principalement agi sur la partie longue de la courbe des taux (un article explicatif sur la courbe des taux est disponible sur le site de BSi Economics), par exemple sur les taux souverains à 10 ans (Graphique 3), et se sont transmis à l’ensemble de l’économie par l’intermédiaire de différents canaux.

Graphique 3 :

 

Source : BSI Economics, Macrobond, dernier point : 01/12/2013

Tout d’abord, ces programmes ont entraîné un rééquilibrage des portefeuilles des agents, suite à une forte hausse de la demande de bons du Trésor américain – avec une importance relative différente selon la maturité, mais plus forte sur la partie longue de la courbe des taux, en particulier suite au programme Twist (Maturity Extension Program) – induisant une baisse des retours espérés sur ces titres. Par ailleurs, ces achats, au travers principalement d’une diminution de la volatilité des taux d’intérêt, ont participé à l’affaiblissement de la prime de terme, dont les estimations montrent qu’elle a été inférieure à sa moyenne historique, voire négative, ces dernières années (Graphique 4).

Graphique 4 :

 

Source : BSI Economics, Federal Reserve, Macrobond, dernier point : 30/09/2013)

La politique monétaire s’est aussi transmise au travers d’un effet signal, ces programmes de politique monétaire non conventionnelle soulignant la volonté de la Fed de maintenir une politique monétaire accommodante sur le long terme. Le retrait, même progressif, de ces programmes participerait donc à une normalisation des taux longs, qui retrouveraient alors un niveau plus en accord avec le cycle économique américain et le scénario d’un redémarrage doux de l’activité. A l’inverse, la Fed a fait preuve de sa volonté de maintenir les taux courts ancrés à leur taux plancher pour un temps prolongé.

Les efforts de communication des autorités monétaires américaines depuis mai 2013 ont permis de bien séparer ses objectifs concernant les deux extrémités de la courbe des taux. Alors qu’au début de l’été 2013, suivant les déclarations de Ben Bernanke, les marchés avaient anticipé un rapprochement de la date du début de la remontée des taux directeurs (le 5 juillet 2013, le consensus établissait une remontée des taux à partir du premier semestre 2014), cette date a maintenant reculé à l’été 2015, permettant ainsi à la Fed de maintenir une politique monétaire plus accommodante sur le long-terme. Cette différence entre tapering et tightening est importante dans ses effets.

Tout d’abord, elle conduit à une pentification de la courbe des taux américains. Si une hausse des taux longs est à même de créer un ralentissement de l’activité, en affaiblissant notamment la reprise sur les marchés fortement indexés sur les taux (comme peut l’être le marché immobilier), ou en perturbant les flux de capitaux  concernant certaines économies émergentes (pour plus d’informations, voir sur le site de BSI Economics), en particulier les plus fragiles, cela permettra néanmoins de restaurer des marges chez certains acteurs financiers, tels les banques et les assureurs, et d’atténuer le comportement de prise de risque croissante (afin d’assurer un retour suffisant) observé ces derniers mois. En effet, l’augmentation de l’écart entre taux courts et taux longs autorise les agents se rémunérant sur la transformation de maturité à restaurer une plus grande profitabilité. La hausse des taux longs modifie par ailleurs les conditions de financement et d’investissement à long terme et conduira à un rééquilibrage des portefeuilles des agents [2] . Enfin, la volatilité sur certains segments du marché, et notamment sur les taux d’intérêt, peut augmenter, ce qui accroit le risque de taux [3] .

Cette évolution soulève deux problèmes qui peuvent se révéler importants. Le premier est de savoir si la Fed a les moyens de contrôler le taux court américain sur le long terme afin de maintenir ce dernier bas suffisamment longtemps, en dépit peut-être des recommandations des règles de fixation optimale des taux directeurs. Pour l’instant, rien ne permet d’assurer que ce ne sera pas le cas mais le caractère inédit de la situation, la forte augmentation du bilan de la Fed (Plus de 3 500 Mds de dollars US à l’automne 2013 contre 870 en juillet 2008), invitent à la prudence. Le second est plus immédiat et concerne le niveau des cours boursiers, celui du S&P 500 par exemple. Cet indice a en effet particulièrement profité du QE 3 (relativement plus que d’autres classes d’actifs et d’autres indices) et a atteint des niveaux historiques.

Sans répondre ici à la question de l’existence ou non d’une bulle sur certains segments des marchés financiers, un ralentissement du QE pourrait provoquer l’effondrement de certains cours si ces derniers s’avéraient plus fragiles que prévu, ou plus sensibles à la partie longue qu’à la partie courte de la courbe des taux [4] . Cela remettrait alors en cause une reprise économique fragile.

L’évolution de la courbe des taux est donc essentielle pour l’avenir de la conduite de la politique monétaire américaine. Les épisodes de tensions de l’été 2013 ont permis d’affermir auprès des participants la distinction entre tightening et tapering, tout en provoquant un ajustement à la hausse des taux longs. Cette différence semble maintenant bien assimilée par les marchés financiers et permet donc à la Fed de dissocier les objectifs attribués à chacun de ses instruments. Cette liberté devrait faciliter les étapes accompagnant l’arrêt des programmes d’achat de titres et permettre aux autorités monétaires de mieux contrôler les modifications de la courbe des taux, par l’intermédiaire notamment de leur forward guidance (pour tous compléments d’informations, se référer à un article paru sur BSi Economics)qui sera certainement contrainte à évoluer et à s’adapter. La politique monétaire américaine est donc appelée à rester accommodante à moyen-terme.

Il importe néanmoins de rester vigilant aux évolutions des taux longs, qui peuvent remettre en cause le financement de l’économie et créer des tensions financières alors que des questions se posent sur la soutenabilité à court-terme des niveaux atteints par les capitalisations boursières.

Graphique 5

Source : BSI Economics, Bloomberg, Macrobond, dernier point : 01/12/2013

Conclusion

Au vu des analyses de marché, le tapering semble désormais être un évènement clairement anticipé à court-terme. De plus, la différentiation entre cette opération et la remontée des taux directeurs de la banque centrale apparaît effectuée. Néanmoins, des doutes persistent quant au calendrier exact de la Fed, notamment la date du début du ralentissement et ses modalités. Ainsi, l’épisode de tensions de l’été 2013, qui a entraîné une hausse de la volatilité sur les marchés et les flux de capitaux, peut légitimer certaines craintes. En particulier, si un phénomène de herding se réalise, une forte chute de certains indices deviendrait possible, alors que des fragilités ont pu apparaitre dans plusieurs segments de marché suite à l’environnement de taux bas qui a prévalu ces dernières années.

Notes

[1] Le PIB a ainsi augmenté de 0,6 % au deuxième trimestre 2013 et de 0,7 % au troisième, pour un acquis de croissance de 1,6 % pour l’année 2013. Les chiffres de l’emploi du mois de novembre ont aussi dépassé, et de beaucoup, les attentes des analystes.

[2] En particulier des poids respectifs des titres obligataires et des actions dans ces portefeuilles. Ces mouvements peuvent être importants et déstabilisateurs.

[3] Il est ainsi possible de comprendre la forward guidance mise en place par la Fed comme une façon de limiter cette volatilité tout en assurant une plus grande lisibilité de la politique monétaire, ce qui en fait un outil efficace de maintien d’une politique monétaire accommodante.

[4] Voir graphique 5. Alors que le QE 3 semble avoir atténué la corrélation existant entre le S&P 500 et le taux d’intérêt souverain américain à 10 ans, en limitant la croissance de ces derniers, les incertitudes sur le futur de ce programme ont permis de rétablir une situation plus proche de l’équilibre historique.