Efficacité de l’Aide publique au développement

Résumé

- L’aide publique au développement (A.P.D) est aujourd’hui considérée comme l’une des principales solutions pour promouvoir le développement économique et lutter contre la pauvreté.

- Ainsi, depuis le début des années 2000, les flux d’A.P.D ont massivement augmenté. Cependant leur efficacité est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté internationale.

- Quels sont les impacts potentiels et observés de l’aide publique au développement ? Sont-ils correctement évalués ? Sont-ils conditionnels ? Et peuvent-ils servirent d’appuis aux politiques de développement ?

- La communauté internationale s’évertue à répondre à ces questions depuis plus de 40 ans. Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ?

S’il existe bien un sujet de controverse parmi les experts du développement, celui sur l’efficacité de l’aide publique au développement (A.P.D) figure sans aucun doute dans le top 3. En effet depuis les premières politiques d’aide, un nombre incalculable d’études a tenté de définir si oui ou non l’aide permettait comme son nom l’indique, « d’aider » les pays à faibles revenus.  Ces études n’ont cependant jamais réellement réussi à établir un consensus, tant et si bien qu’aujourd’hui, après plus de 50 ans de déboursements d’A.P.D, l’impact de ces dernières sur la croissance économique reste encore relativement flou.

Bref historique de l’A.P.D.

L’idée de base de l’A.P.D, développée au milieu des années 1960, était que le processus de croissance des pays les moins avancés était freiné par une épargne domestique et des réserves en devises trop faibles (double déficit). Il est alors très vite apparu comme évident qu’une aide financière (comblant ces déficits) de la part des pays industrialisés ayant, eux, réalisés leur décollage économique, permettrait de favoriser celui de ceux en voie de développement.

Ainsi depuis 1960, l’importance de l’A.P.D à destination des pays en développement n’a cessé de croître (cf. graphique ci dessous). L’A.P.D regroupe principalement deux grandes catégories de flux financiers (les dons et les prêts concessionnels[1] ) qui peuvent être octroyés soit par les institutions internationales de financement, type FMI et Banque mondiale (on parle alors de financement multilatéral) soit directement par les Etats des pays industrialisés (on parle alors de financement bilatéral). Bien qu’historiquement les flux d’A.P.D, aussi bien bilatéraux que multilatéraux, n’aient pas toujours évoluéde façon constante, ils atteignent aujourd’hui un niveau record qui implique forcément de se questionner quant à leur efficacité.

L’efficacité de l’aide ou l’histoire sans fin

Le débat sur l’efficacité de l’aide ne date pas d’hier. Depuis plus de 40 ans la communauté scientifique s’est en effet fermement emparée de ce sujet et en a tiré une multitude d’analyses visant à étudier l’impact de l’aide sur le développement économique et social des pays bénéficiaires.

Une première vague d’études issue des années 1970 a tenté d’observer l’impact de l’A.P.D sur la croissance et sur l’épargne domestique. Ces flux venant combler un déficit d’épargne national, il était ainsi attendu qu’un déboursement d’aide conduise à accroître le niveau d’épargne domestique, favorisant ainsi l’accumulation du capital et in fine la croissance économique. Ces premières études que l’on doit notamment à Griffin et Enos,  n’ont cependant pas réussi à mettre en évidence de telles relations, montrant même un impact négatif de l’A.P.D sur le taux d’épargne domestique. Un peu plus tard, un économiste américain,  Gustave Papanek, a à son tour tenté d’identifier l’impact de l’aide en étayant les modèles présentés par Griffin et Enos. Ses travaux ont alors permis d’observer pour la toute première fois que, même si l’aide semblait impacter négativement le taux d’épargne, il existait bien une relation positive entre l’aide et la croissance économique. Néanmoins, ces résultats bien qu’intéressants, mettent juste en évidence une corrélation et ne peuvent à eux seul identifier une relation de cause à effet entre l’A.P.D et la croissance économique.

En effet, l’aide et la croissance peuvent toutes deux être impactées par d’autres variables qui les conduisent à évoluer de façon conjointe, comme la présence de conflits armés ou l’apparition de catastrophes naturelles. De même, l’aide peut tout à fait impacter positivement la croissance via le processus d’accumulation du capital mais une croissance très faible au sein d’un pays bénéficiaire incite également les pays donateurs à lui fournir d’avantage d’aide. Ainsi l’aide pourrait certes influencer positivement la croissance, mais la croissance pourrait également influencer négativement l’aide.

C’est donc pourquoi, au cours des années 1980, une deuxième vague d’études a repris ces premières analyses tout en essayant cette fois ci de contrôler ces problèmes de « causalité inverse » (pour plus d’informations, voir l’éclairage sur le site de BSI Economics) ou d’endogénéïté entre l’aide et la croissance. Les travaux de Mosley et al. (1987) ont alors proposé une première estimation « propre » de l’impact direct de l’aide sur la croissance, qui n’a cependant pas permis de conclure à un effet bénéfique de ces flux.

Puis au cours des années 1990, l’idée que la relation entre A.P.D et croissance n’était pas forcément linéaire est devenue de plus en plus acceptée conduisant ainsi à une nouvelle vague d’analyses. Ces études ont alors tenté de démontrer que l’efficacité de l’aide sur la croissance pouvait être conditionnel et dépendre de certains facteurs propres aux économies bénéficiaires. L’article de Burnside & Dollar publié en 2000 dans l’AER (American Economic Review) représente le point culminant de cette littérature. Selon ces deux économistes de la Banque mondiale, l’aide ne serait efficace et impacterait positivement la croissance économique que dans les pays possédant de « bonnes » institutions et ayant mis en œuvre des politiques économiques saines.  Ce papier a alimenté d’intenses débats et plusieurs études ont par la suite entrepris, avec plus ou moins de succès, de confirmer ces résultats. Cependant, d’autres travaux ont également identifié certains facteurs naturels et structurels pouvant aussi influencer l’impact de l’aide.

Ainsi Guillaumont et Chauvet (2004) ont démontré que l’aide était en moyenne plus efficace dans les pays qui étaient fortement exposés aux chocs extérieurs tels que les fluctuations brutales des termes de l’échange (pouvant fortement handicaper les exportations) où les importantes variations climatiques (impactant négativement les productions agricoles). D’après Collier et Dehn (2001) l’aide pourrait effectivement avoir un effet dit « compensateur » et atténuer l’impact négatif de ces chocs exogènes sur la croissance. Par la suite Dalgaard, Hansen et Tarp (2004) ont observé que l’aide était moins efficace dans les pays géographiquement proches des tropiques, mettant en lumière le fait que les rendements induits par l’A.P.D, notamment dans le secteur agricole, seraient limités par une trop faible productivité causée par les conditions climatiques difficiles de ces zones géographiques. Enfin d’autres études (Kosack (2003), Collier et Hoefler (2004)) ont également souligné la prépondérance de la qualité institutionnelle et notamment du climat politique dans la performance de ces flux.

Capacité d’absorption et Dutch Disease

Néanmoins, l’accentuation des efforts en termes de déboursements d’aide depuis le début des années 2000[2] due aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et à la lutte intensive contre le terrorisme international (cf. graphique précédent et suivant) a conduit de nombreux économistes à se pencher sur les effets potentiellement négatifs que pourraient avoir ces entrées massives de flux financiers sur l’économie du pays bénéficiaire. Les équipes du FMI ont ainsi observé que de trop importants volumes d’aide pouvaient entraîner une hausse du taux de change effectif et ainsi nuire aux industries exportatrices du pays bénéficiaire, conduisant in fine à une situation de « Dutch Disease » ( pour plus d’informations, un article sur le sujet du même auteur est paru sur le site de BSI Economics) où l’aide octroyée nuirait à la croissance économique. Selon eux, ce phénomène pourrait expliquer le fait qu’il est compliqué d’observer un impact macroéconomique positif de l’aide sur la croissance.

D’autres études ont enfin mis en évidence le fait qu’un niveau d’aide trop important et donc largement supérieur à la capacité d’absorption du pays bénéficiaire pouvait également compromettre l’efficacité de ces flux. Selon cette approche, à partir d’un certain seuil, un dollar d’aide supplémentaire reçu serait relativement moins efficace. A titre d’exemple les études d’Hadjimicheal et al (1995) et d’Hansen et Tarp (2001) ont démontré que les rendements marginaux de l’aide devenaient négatifs lorsque ces flux dépassaient 25 % du PIB, tandis que Durbarry et al. (1998) et Lensink et White (2001) ont exposé que ce seuil se situait plutôt autour de 40 % du PIB. Des volumes d’aide disproportionnés par rapport aux besoins des pays conduiraient donc les rendements de ces flux à décroître de plus en plus vite. Les politiques d’aide ont souvent été utilisées comme instruments de politique étrangère (McKinlay & Little (1978)). Il est ainsi probable que certains pays industrialisés, soucieux de conserver leurs relations et appuis politiques, aient pu allouer des fonds bien supérieurs à ce que le pays bénéficiaire pouvait réellement absorber, rendant in fine leur aide financière totalement inefficace.

Ou en sommes-nous aujourd’hui ?

Au final la littérature sur l’efficacité de l’aide demeure extrêmement riche et variée et comporte aujourd’hui à peu près autant d’articles exposant une relation positive entre aide et croissance que d’articles soutenant l’absence totale de relation. Cette hétérogénéité souligne bien le manque de consensus qui divise les pays et les institutions en charge d’allouer l’A.P.D. Bien que certaines études, comme celle de Burnside et Dollar, aient fortement influencé la décision d’octroyer l’A.P.D et le choix des pays destinataires, l’impossibilité de statuer sur cette question ne permet toujours pas de standardiser la façon dont ces flux devraient être déboursés et alloués.

La volonté de trouver une issue à ce débat a néanmoins conduit certains auteurs à mener des méta-analyses sur l’ensemble des travaux jusqu’alors effectués pour tenter de définir enfin si, dans l’ensemble, la recherche scientifique avait davantage identifié d’impacts positifs de l’aide sur la croissance que d’impacts négatifs ou inexistants (en considérant à chaque fois les différents modèles utilisés). Ces méta-analyses ont conclus qu’effectivement, les travaux réalisés avaient majoritairement observé un effet positif de l’aide, mais ont cependant soulevé une question primordiale ; celle du biais de publication. L’existence du biais de publication, mis en évidence par Doucouliagos et Paldam (2008, 2009, 2011), soutient que les chercheurs et économistes (notamment ceux directement liés aux institutions financières internationales comme la Banque mondiale ou le FMI) seraient plus enclin à publier des résultats positifs de l’aide sur la croissance dans le but de justifier l’intervention de ces institutions dans les pays en développement. Ainsi, les résultats négatifs qu’ils auraient potentiellement observés ne seraient pas ou que très peu publiés car de telles conclusions seraient alors révélatrices d’un échec des politiques de développement jusqu’alors engagées et considéreraient comme  « gâchis » la majorité des fonds déboursés. En réponse à l’étude de Doucouliagos et Paldam, une analyse de Tarp (2013) est venue contredire les résultats des méta-analyses existantes en démontrant qu’il n’existait pas de biais de publication et que l’aide était globalement efficiente. Ces méta-analyses dont le but était d’identifier une bonne fois pour tout l’impact de l’A.P.D sur la croissance des pays en voie de développement ont donc simplement emboité le pas aux analyses existantes en continuant d’alimenter le débat et l’incertitude autour de l’efficacité de l’aide.

Conclusion

Si aujourd’hui le consensus sur l’impact macro de l’A.P.D semble encore relativement éloigné, les études microéconomiques étudiant l’efficacité de multiples programmes financés par l’aide internationale ont en revanche pratiquement toutes confirmé l’impact positif de ces interventions sur les conditions sociales, financières et sanitaires des individus ciblés. De plus, l’aide totale comprend également un volume de fonds qui, s’ils ne sont pas octroyés directement aux pays en développement, servent à financer des centres de recherche et beaucoup d’autres projets qui permettent de renforcer l’expertise sur les problématiques du développement et de favoriser, bien que de façon indirect, le décollage économique de ces pays.

Enfin, il est important, dans l’étude de la relation entre aide et développement, de ne pas restreindre l’analyse à l’impact sur la croissance économique. Si nous arrivions enfin à déterminer que l’aide impacte positivement la croissance, il faudrait que cette dernière soit inclusive pour permettre aux populations vivant encore majoritairement sous le seuil de pauvreté de bénéficier de cette richesse supplémentaire. L’aide est donc loin d’être inutile, mais l’évaluation de ses effets doit continuer d’être remise en question pour permettre aux pays donateurs et receveurs de respectivement octroyer et absorber de la façon la plus efficace possible ces flux financiers, dont beaucoup de pays en développement restent encore fortement dépendants.

Notes

[1] Prêts dont « l’élément don » est au minimum égal à 25 % de la valeur totale du prêt. Dés lors que ce montant de libéralité est atteint l’ensemble du prêt (sa valeur faciale) est considéré comme de l’aide publique au développement.

[2] Même si consécutivement aux crises de la fin des années 2000, les ajustements budgétaires des pays développés semblent avoir fortement contraints les fonds alloués à l’A.P.D

Bibliographie  

- D. Dollar & C. Burnside, 2000. "Aid, Policies, and Growth," American Economic Review, American Economic Association, vol. 90(4), pages 847-868, September  

- M. P. J. Hudson & S. Horrell, 1987. “Aid, the Public Sector and the Market in Less Developed Countries”, Economic Journal 97, 616-641

- G.F. Papanek, 1973. “Aid, Foreign Investment, Savings and Growth in Less Developed Countries”, Journal of Political Economy 81(1), 120-130

- K.B. Griffin & J.L. Enos, 1971. “Foreign Assistance: Objectives and Consequences”, Economic Development and Cultural Change 18(1), 313.

- L. Chauvet & P. Guillaumont, 2004. “Aid and Growth Revisited: Policy, Economic Vulnerability and Political Instability”, in TungoddenB. N. Stern and I. Kolstad (eds). Toward Pro-Poor Policies. Aid, Institutions and Globalization. World Bank & Oxford University Press.

- C-J Dalgaard, H. Hansen & F. Tarp, 2004. “On the Empirics of Foreign Aid and Growth”, Economic Journal 114(496), 191–216

- H. Doucouliagos & M. Paldam, 2009. "The Aid Effectiveness Literature: The Sad Results of 40 Years of Research," Journal of Economic Surveys, Wiley Blackwell, vol. 23(3), pages 433-461, 07

- R. G. Rajan & A. Subramanian, 2011. "Aid, Dutch disease, and manufacturing growth," Journal of Development Economics, Elsevier, vol. 94(1), pages 106-118, January.

- L. Chauvet. “L’Aide Publique au Développement” in Encyclopaedia Universalis   

  

Diplômé de l'Ecole d'Economie de Paris en Politiques Publiques et de Développement ainsi que de l'Université Paris-Dauphine en Diagnostic Economique, Marin Ferry évolue actuellement au sein d'un service d'analyses macroéconomiques. Ses principaux centres d'intérêt portent sur les problématiques relatives au développement et plus particulièrement sur celles concernant son financement (endettement, aide au développement, transferts).

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