Existe-t-il une norme pour le prix nominal des actions aux Etats-Unis ?

Résumé :

- Le prix des actions sur le marché américain  fluctue autour des $30 depuis les années 1930, ceci grâce à la pratique régulière de « stock-splits ».

- Plusieurs explications peuvent être avancées : l’existence d’une contrainte budgétaire pour les investisseurs, la volonté d’accroître la liquidité des titres, l’émission d’un signal et enfin l’existence d’une norme.

- L’existence d’une norme semble être l’explication la plus plausibleconcernant le marché américain.

- Le cas français n’est pas aussi tranché.

De manière surprenante, la loi de l’offre et de la demande n’est pas le seul moteur déterminant le niveau des prix des actions sur les marchés boursiers. Les entreprises, principalement américaines, pratiquent régulièrement des « stock-split » afin de gérer activement le prix de leurs actions. Les stock-split sont des opérations juridiques consistant à subdiviser un titre sur le marché secondaire, une action par exemple, en plusieurs titres ayant les mêmes caractéristiques mais avec un prix inférieur. C’est une simple opération comptable qui ne nécessite pas d’émission de nouvelles actions. Un porteur possédant une action à 100€ pourra donc voir son action subdivisée en 2 actions à 50€. Le stock-split est censé être une opération neutre, qui n’affecte pas la valeur totale de l’entreprise ni sa structure financière, et qui ne modifie pas la valeur des actions détenues par les porteurs. General Electric a régulièrement fait usage de cette pratique, car avec un cours nominal (non corrigé de l’inflation)de $38 en 1935, le cours en 2005 aurait dû être de $10094, alors qu’il n’était que de $35.

Toutefois cela reste une pratique surprenante, sachant que cette opération financière a un coût important pour l’entreprise qui la pratique. Mais surtout car elle peut générer des coûts très élevés pour les investisseurs si ceux-ci paient des coûts de transaction proportionnels au nombre d’action (ce qui est de moins en moins le cas, le coût étant devenu proportionnel au seul montant total).

Pourtant si l’on étudie à la suite de Benartzi et all. (2009)  le prix nominal moyen des actions aux Etats-Unis entre 1975 et 2005, celui-ci reste très proche des $30 alors que le Dow-Jones sur la même période est multiplié par 6 [Graphique 1].

Graphique 1 : Bourse de New York

En noir: prix nominal moyen des actions pondéré par la capitalisation des entreprises (en dollar), en gris: Dow-Jones, Source : Benartzi et all (2009).

Certaines entreprises, américaines en particulier, semblent donc pratiquer une gestion active du prix nominal de leurs actions. Plusieurs raisons peuvent être développées pour tenter d’expliquer ce comportement : l’existence d’une contrainte budgétaire (1) des investisseurs, la volonté d’accroître la liquidité des titres (2), l’émission d’un signal (3) et enfin l’existence d’une norme (4). Néanmoins, toutes à l’exception de la théorie de l’existence d’une norme se révèlent infructueuses.

La théorie de la contrainte budgétaire

La théorie de la contrainte budgétaire, considère que chaque investisseur cherche à diversifier aux mieux ses placements avec la contrainte d’un budget limité. Des titres ayant un prix faible permettent de diversifier plus facilement un portefeuille et seraient donc plus demandés. Ainsi selon une enquête citée par Benartzi et all. (2009), 40% des gérants de Money Mutual Funds (MMF) aux Etats-Unis sont convaincus qu’une valeur plus faible attire les investisseurs. Pourtant les MMF sont, par définition, des fonds déjà relativement bien diversifiés et dont les parts, à l’inverse des actions, sont divisibles.

En outre, si la contrainte budgétaire des investisseurs était ce qui motivait la gestion active des prix nominaux des actions, le prix de ces dernières devrait donc suivre plus ou moins l’évolution de l’inflation : les prix réels devraient être relativement stables. Or l’on remarque qu’aux Etats-Unis [Graphique 2] et en France [Graphique 3], les prix réels moyens des actions sont décroissants sur les périodes considérées.

Graphique 2 : Prix réel moyen des actions aux Etats-Unis

En noir: prix réel moyen pondéré par la capitalisation de l’entreprise, En gris: prix réel moyen non-pondéré, Source : Benartzi et all (2009).

Graphique 3 : Prix réel moyen des actions en France (en base euro 2000)

Source : Macrobond, BS-Initiative.

La théorie de la contrainte budgétaire suppose aussi que les investisseurs non-institutionnels ont une préférence pour les actions à prix relativement bas, puisque ce sont eux qui ont la plus grande contrainte budgétaire. A l’inverse, les investisseurs institutionnels devraient préférer des prix d’action plus élevés afin de diminuer leurs coûts de transaction lorsque ceux-ci sont fonction du nombre d’action. Or aux Etats-Unis la part des investisseurs non-institutionnels est passée de 90% en 1950 à 41% en 1998, sans que cela ne se traduise par une hausse du prix des actions.  L’explication de la pratique des stock-splits et du maintien d’un prix nominal relativement constant aux Etats-Unis et pour une moindre mesure en France n’est donc pas à chercher du côté de la contrainte budgétaire.

La théorie de la liquidité

Intuitivement on peut penser que les titres ayant des prix faibles sont les plus liquides, si on définit la liquidité comme la facilité à revendre un titre. Car revendre une action à 100€ suppose de trouver un acheteur unique prêt à débourser cette somme, alors que la revente dix actions à 10€ peut se faire auprès de plusieurs acheteurs. Toutefois, des exemples comme Google (dont l’action se négocie autour de $1 000), ou encore Berkshire Hathway (dont les actions de type A, ouvrant un droit de vote contrairement à celles de type B, valent aux alentours de $170 000), dont les actions sont très liquides malgré leur prix très élevé, remettent en cause cette intuition initiale.

En outre, selon Angel (1997) plus le rapport entre l’écart minimum possible (tick size) entre le prix d’achat et de vente (bid-ask spread) et  le prix de l’action est important, plus les gains des courtiers sont élevés, donc plus ils ont tendance à échanger cette valeur et donc plus cette dernière sera liquide. Par exemple avec un tick-size à $0,01, une action à $10 aura un rapport de 0,1%, alors que pour une action à $1, le rapport sera de 1%. Or ce tick-size étant réglementé, le seul moyen d’attirer les courtiers en augmentant leurs gains est de réduire le prix des actions. Ainsi un prix d’action plus faible, incite les courtiers à traiter la valeur. Néanmoins, la baisse du tick-size grâce au passage à la cotation électronique (passage d’1/8eme à 1/100eme de dollar durant les années 1990) n’a pas eu pour conséquence une baisse du cours moyen des actions qui en préservant le profit des courtiers aurait confirmé la théorie de la liquidité.

La théorie du signal

Il existe d’importantes asymétries d’information entre les managers et les investisseurs. Dans le cadre de cette théorie, la mise en place d’un stock-split serait une manière pour l’entreprise de signaler aux investisseurs une croissance future forte par le biais du marché boursier. En diminuant le prix de ses actions, une entreprise signale sa sous-évaluation par rapport à ses concurrents et donc ses opportunités de croissance. De plus, pour qu’un signal soit crédible il doit être coûteux, car s’il ne l’était pas toutes les entreprises pourraient envoyer ce signal, le rendant inutile. Seules les entreprises étant prêtes à risquer de perdre beaucoup peuvent générer un signal crédible. Or les coûts administratifs et légaux d’un stock-split sont estimés à environ $500 000, ce à quoi s’ajoute l’augmentation des coûts de transaction, lorsque ceux-ci dépendent du nombre d’action, pour les investisseurs. Les stock-splits semblent donc envoyer un signal fort.

Malgré le fait que le marché semble répondre positivement à court terme, selon l’étude de Lakonishok et Lev (1987) les entreprises qui annoncent un stock-split ont plutôt atteint un pic de croissance avant cette annonce. En outre, la décision de procéder à un stock-split dans le cadre de la théorie du signal est imprévisible puisqu’elle dépend d’informations privées, internes à l’entreprise, que cette dernière cherche justement à signaler. Le pic de croissance antérieur au stock-split ne peut donc pas s’expliquer par une anticipation de ce dernier par le marché. Au final, le stock-split serait donc plutôt un signal négatif pour les investisseurs voire neutre. Lorsque  les fonds indiciels passifs tels que les ETF (Exchange Traded Funds) procèdent à des stock-splits, ils ne produisent aucune information. Enfin, si les entreprises cherchaient à produire de l’information au moyen de ces stock-splits, le cours de leurs actions devrait chercher à se différencier de celui des autres entreprises, or on remarque que les stock-splits permettent plutôt de faire converger le cours de l’action vers un certain cours moyen. La théorie du signal n’a donc pas plus de pouvoir explicatif que les théories précédentes.

La théorie de la norme

Depuis plusieurs décennies déjà, la rationalité parfaite des agents économique a été remise en cause. Il est plus pertinent aujourd’hui de parler de rationalité limitée. La théorie de la norme s’inscrit dans ce courant, en s’appuyant sur les valeurs et les croyances auxquels les investisseurs et les entreprises sont soumis sans parfois même en avoir conscience. La norme des actions autour de $30 aux Etats-Unis serait une convention dont le respect par l’entreprise accroit la confiance que lui accorde le marché (il faut entendre par norme une fourchette de valeur au sein de laquelle le prix des actions varie selon l’offre et la demande). Selon Benartzi et all. (2009), si cette norme s’est probablement établie à l’origine selon des contraintes économiques réelles (contraintes de budget, de liquidité,…), le fait qu’elle se soit établit après la crise de 1929 lui a donné une dimension psychologique très forte. Ce qui peut expliquer pourquoi elle perdure aujourd’hui malgré la disparition de nombreuses contraintes économiques. Il ne semble pas exister de norme semblable en France, en tout cas pas sur la période 1933-2009. Par contre le prix nominal moyen des actions françaises semble converger vers les 50€ depuis la création de la zone euro, mais la période est trop courte pour pouvoir parler de norme.

Benartzi et all. (2009) ont étudié la probabilité de la mise en place d’un stock-split par une entreprise en fonction de l’écart entre le prix de son action et la moyenne des autres entreprises du même secteur. Leurs résultats montrent qu’une entreprise dont le prix de l’action s’écarte de la norme de son secteur aura plus tendance à pratiquer un stock-split. Il existe une sorte de volonté de retour à la norme en cas de déviation. Benartzi et all. (2009) ont aussi étudié les prix nominaux moyen en classant les entreprises selon leur taille [Graphique 4].

Graphique 4 : Evolution de la moyenne des prix nominaux des actions des entreprises cotées au Dow-Jones selon leur taille

De haut en bas: quintile 1, quintile 2, quintile 3, quintile 4, quintile 5. Source : Benartzi et all (2009)

On remarque bien l’existence de normes différentes selon la taille de l’entreprise. Le prix de l’action serait donc aussi un moyen pour l’entreprise d’affirmer son statut en se rapprochant d’un groupe de pairs. En France, aucune des cinq premières capitalisations n’ont de cours inférieur à 40€, et certaines dépassent même les 100€ (L’Oréal et LVMH), ce qui semble aussi aller dans le sens de l’idée de l’existence de normes.

Conclusion

L’existence d’une norme au sein du marché financier américain semble être la meilleure explicationd’un prix nominal relativement constant sur le marché des actions américain.

Le respect d’une norme dépendant du secteur et surtout de la taille des entreprises semble être une pratique bien ancrée aux Etats-Unis.

En France, il y a clairement une gestion active des prix nominaux des actions. Toutefois il semble difficile de parler de norme à proprement dit, sauf peut être depuis le passage à l’euro où les prix des actions semblent fluctuer autour de 50€. Mais la période étudiée est trop courte pour pouvoir conclure.

Bibliographie :

Weld.W,  Michaely.R,  Thaler.R and Benartzi.S, 2009, “The Nominal Share Price Puzzle”, Journal of Economic Perspectives—Volume 23, Number 2—Spring 2009—Pages 121–142

Angel.J, 1997, “Tick Size, Share Prices, and Stock Splits”, Journal of Finance 52, 655-681.

Lakonishok.J, and Lev.B, 1987, “Stock Splits and Stock Dividends: Why, Who and When”, Journal of Finance 42, 913-932.

Apres une thèse en économie à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne et un passage à la Banque Centrale Européenne, Guillaume travaille actuellement à la Banque d'Angleterre en temps qu'économiste chercheur. Ses domaines d'intérêts portent principalement sur la liquidité bancaire.

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