Interview de Gabriel Zucman, chercheur à l’université de Berkeley

« Ce que l’on observe aujourd’hui met en avant le fait que l’action du G20 n’a eu aucune utilité : le G20 a été une supercherie. »

Bonjour Gabriel Zucman. Spécialiste des questions relatives à l’évasion fiscale, quel regard portez vous sur la crise Chypriote ?

Le cas de Chypre résume très clairement les dangers qu’il y a à laisser des pays se développer en tant que place financière offshore ainsi que la nécessaire régulation de tels paradis fiscaux.

Un pays comme Chypre ayant un système bancaire de taille démesuré par rapport à son économie est très vulnérable à une crise bancaire et peut se retrouver dans une situation budgétaire très difficile s’il doit être amené à renflouer ses banques.

Auriez-vous une idée un peu plus précise que ce que l’on a entendu des montants des dépôts étrangers dans les banques chypriotes ?

Non, il est très difficile de savoir qui possède des actifs à Chypre, que ce soit des dépôts ou d’autre ou des portefeuilles de titres à l’aide de l’appareil statistique disponible actuellement.

Au vu de la crise chypriote, il apparaît clairement qu’il est pourtant nécessaire de développer de tels outils afin de pouvoir gérer les situations de crise. Ce manque d’informations rend impossible toute régulation sérieuse des paradis fiscaux et toute gestion rationnelle et juste des crises comme celle qui a touché Chypre.

Et pourtant, le G20 d’août 2009 a exigé que tous les paradis fiscaux s’engagent à signer au moins douze traités bilatéraux d’échange d’informations. Au regard de la crise chypriote, il semblerait que cela ne soit pas suffisant ?

Chypre est bien en règle avec les recommandations formulées par le G20 lors du sommet de Londres d’avril 2009. Et ce que l’on observe aujourd’hui met en avant le fait que l’action du G20 n’a eu aucune utilité : le G20 a été une supercherie.

Pourquoi cela alors même que les responsables politiques clamaient la fin du secret bancaire ?

Le problème fondamental de ces traités est qu’ils étaient « à la demande ». Pour obtenir une information, il faut en fait que le pays ait un soupçon préalable sur un de ses ressortissants. Plus précisément,  il faut qu’un Etat ait des soupçons sur le fait qu’un de ses ressortissants a des actifs non déclarés dans une banque spécifique. C’est comme si le pays demandeur d’informations devait déjà avoir la réponse à sa question!

Tout est au cas par cas, ce qui en pratique s’est traduit par un nombre ridiculement anecdotique (quelques centaines de cas par an) d’échanges d’information.

D’où les résultats de votre étude avec Niels Johannesen sur l’évaluation de ce dispositif [1] ?

Oui, on a cherché à évaluer l’impact du G20 sur les fonds déposés dans les paradis fiscaux. On trouve qu’il n’a eu qu’un impact très limité : les montants n’ont que peu, voire pas, diminué suite à la signature de ces traités d’information, ce qui laisserait supposer que les gens ne se sont pas sentis « menacés ».

On remarque toutefois qu’il y a eu une réallocation des actifs entre les paradis fiscaux ayant signé le plus de traités vers ceux en ayant le moins signé.

Avez vous une idée de ce vers quoi vont tendre les nouvelles régulations ?

Reconnaissant l’échec du G20 sur ce point, les institutions internationales et l’OCDE en particulier, se dirigent vers des accords d’échange automatique d’informations. Ce qui signifie que chaque année les banques domiciliées dans les paradis fiscaux enverraient une liste exhaustive de leurs clients et des montants détenus aux administrations fiscales concernées. Ce serait une avancée majeure.

Mais cela va prendre du temps à mettre en place et il va falloir être vigilant. Un point important est de s’assurer que les banques communiquent bien les données du point de vue du bénéficiaire ultime pour éviter de se retrouver  face aux problèmes des « coquilles vides ».

D’une manière plus générale, et au regard des difficultés budgétaires des pays de la zone euro, avez vous une estimation du manque à gagner fiscalement dû à l’évasion fiscale ?

Il est extrêmement difficile de répondre à cette question. Dans The Missing Wealth of Nation [2] , j’estime que 8% du patrimoine financier des ménages, soit 7 000 milliards d’euros, sont détenus dans les paradis fiscaux, dont 40% (presque 3 000 milliards d’euros) appartiennent à des européens. Cela représente un manque à gagner fiscal considérable.

Dans cet article vos recherches sur les paradis fiscaux vous aident d’ailleurs à revisiter le mythe selon lequel la Chine détient le monde ?

En effet, le point clé est qu’une grande partie des montants détenus dans les paradis fiscaux appartiennent à des citoyens américains ou européens. Lorsque l’on prend en comptes ces fortunes, les positions internationales des pays développés sont nettement meilleures. On retrouve en particulier que l’Europe n’est pas du tout aussi endettée vis-à-vis du reste du monde que ce que l’on croit mais qu’elle est plutôt créditrice. La Chine ne détient pas encore le monde….

Propos recueillis par Charles Boissel

Notes:

BSI Economics est un think tank de réflexion sur l'économie et la finance, créé en 2012, qui contribue à ouvrir et améliorer les débats en mettant au service des décideurs et des citoyens des réflexions indépendantes sur les nouvelles tendances économiques et financières.

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