Le revenu universel, fer de lance de l’égalité hommes-femmes ? (Policy brief)

Si la campagne présidentielle de 2017 avait donné une grande visibilité au concept de revenu universel, la crise sanitaire et l'échéance électorale de 2022 l’ont remis au goût du jour. Pour ses défenseurs, le revenu universel est une solution pertinente pour affronter la hausse des inégalités sociales et pour lutter efficacement contre la précarisation. Expérimenté dans un certain nombre de pays souvent à l’échelon infra-étatique (par exemple à New-York), il suscite des débats idéologiques et doctrinaux quant à son essence et à sa portée, et pose des questions en termes d’organisation du modèle social, de rapport au travail, et surtout de faisabilité économique.

Le revenu universel (comprenez également « revenu de base »), dans sa forme défendue par le Mouvement Français pour un Revenu de Base s’appuie sur les principes suivants : son montant doit être le même pour tous, sans reposer sur un contrôle des ressources ou des besoins, sur une base individuelle, sans exigence de contrepartie, ad vitam et à contribution égale pour tous. En ce sens, le revenu universel se devrait d’assurer pour chaque bénéficiaire les conditions élémentaires d’existences comme énoncés par l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, les soins médicaux, le logement ainsi que pour les services sociaux nécessaires. »

D’un point de vue social, le projet semble séduisant en ce sens qu’il devrait, par essence, contribuer à la lutte contre les inégalités et la pauvreté, en donnant à chacun la possibilité d’une existence digne. Néanmoins, les débats politiques le concernant se sont tenus sans considérer son potentiel effet sur les rapports sociaux de genre, et plus globalement sur le bénéfice de telles mesures présumées neutres car « universelles ». En quoi le revenu universel peut-il être un outil d’émancipation pour les femmes ? Ne peut-il pas constituer, au contraire, un revenu de subsistance qui conduirait à renforcer les inégalités hommes-femmes ?

Le revenu universel comme levier d’émancipation de la femme

Du point de vue de ses défenseurs, le revenu universel constituerait un excellent outil d’autonomisation des femmes et permettrait aux plus précaires d’entre elles de s’émanciper. En effet, il devrait permettre de se substituer à l’actuel filet de sécurité complexe des aides sociales par le versement d’une allocation unique. Le revenu universel aurait ainsi pour vocation de faciliter les démarches administratives et de supprimer les délais d’obtention d’aides, permettant de couvrir automatiquement et immédiatement les individus dans le besoin. De plus, de par sa dimension d’inconditionnalité, le revenu de base contribuerait à déstigmatiser les plus pauvres. Le Mouvement Français pour un Revenu de Base argue que « le revenu de base permettra aux femmes, aujourd’hui coincées entre travail domestique et travail salarié, d’être libres de choisir ce qu’elles veulent faire […] comme celui de l’entreprenariat, car elles sont toujours les premières à se sacrifier. » Moins bien payées (en moyenne 28,5 % de moins que les hommes en 2019 tous temps de travail confondus selon l’INSEE), surreprésentées dans l’emploi précaire et plus sujettes au chômage, le revenu universel conduirait les femmes à gagner en termes de pouvoir de négociation face à leur employeur en leur permettant de refuser les emplois sous-payés, grâce au revenu de subsistance (Gardey et Silvera, 2018).

En outre, l’individualisation du versement du revenu universel devrait permettre à chaque femme de disposer d’un pécule indépendamment de leur situation familiale à la différence des minima sociaux français, leur permettant ainsi de gagner en autonomie sur leur gestion budgétaire (Van Lancker, 2017). D’aucuns arguent en ce sens que l’élargissement des options accessibles engendré par l’instauration d’un revenu universel devrait permettre aux femmes de s’extirper d’un couple duquel elles ne seraient pas satisfaites, réduisant ainsi les risques de violences conjugales parfois intrinsèquement liés à une situation de dépendance financière (Zellecke, 2011).

Quand le revenu universel se confond avec le salaire maternel

En dépit de nombreuses positions optimistes à l’égard des effets du salaire universel sur les femmes, ce dernier ne fait toutefois pas consensus. Un premier bénéfice du salaire universel préalablement mentionné serait un regain de pouvoir de négociation de la femme sur le marché de l’emploi.

Néanmoins, on peut s’attendre à ce que les effets du revenu universel puissent renforcer les inégalités de genre au sein du couple en consolidant la division genrée du travail non rémunéré. Il pourrait en effet encourager les femmes en charge des responsabilités familiales liées au ménage à s’éloigner plus encore du marché du travail. En somme, si une situation conduit un couple à réduire le nombre total d’heures de travail rémunéré afin de disposer de plus de temps pour s'occuper des enfants ou d'autres tâches domestiques, il est donc, dans la plupart des cas, moins coûteux pour la femme de cesser de travailler ou de réduire son temps de travail. Par conséquent, une telle mesure conduirait finalement à accroître les inégalités sur le marché du travail, comme l’ont démontré les travaux de Ghiotto et De Vos (2017). Ainsi, en Allemagne, l’introduction du revenu universel conduirait à une baisse du temps de travail faible pour les hommes mariés (autour de 5 %) et nettement plus élevée chez les femmes mariées (21,1 %). Aux Pays-Bas, les simulations réalisées concluent à une baisse de la participation au marché du travail de 5 % pour l’ensemble, mais de 17,7 % pour les femmes avec enfants.

Il y a fort à parier que l’introduction d’un tel modèle ne fasse que renforcer les clivages préexistants entre salariés qualifiés à temps plein (en majorité des hommes qui n’auraient pas besoin de réduire leur temps de travail) et non qualifiés à temps partiel (en majorité des femmes). Un préalable requis et utopique du succès du revenu universel en termes d’égalité hommes-femmes réside donc en l’élimination pure et simple des différences de traitement genré. 

Diplômée d'un Master d'économie co-accrédité par l'Université Lyon II, l'ENS Lyon et l'EM Lyon, Caroline Perrin prépare actuellement une thèse sur la place de la femme dans la finance à l'Université de Strasbourg. Elle s'intéresse également aux problématiques de soutenabilité ainsi qu'aux politiques économiques des pays en voie de développement. Elle est engagée dans l'organisation des Journées de l'Économie.

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