Quel bilan pour la COP15 sur la biodiversité ? (Interview)

DISCLAIMER : Les opinions exprimées par l'autrice sont personnelles et ne reflètent en aucun cas celles de l'institution qui l'emploie.

En décembre 2022, après plus de deux années de report, la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité (COP15), s’est tenue à Montréal. Issue de la Convention sur la biodiversité biologique de 1992, cette Conférence des Parties se réunit tous les deux ans en vue d’obtenir des avancées sur la conservation de la biodiversité et son utilisation durable et équitable. A l’issue de cette COP, un accord historique a été signé. Le« cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal » est historique car il démontre des avancées substantielles par rapport aux précédentes COP sur la biodiversité (rehaussement des objectifs, mécanisme de suivi…), et ce dans un contexte particulièrement peu enclin à l’atteinte d’une telle progression.

Charlotte Gardes, économiste chez BSI Economics, répond à 4 questions sur ce dernier.

  • Pourquoi l’effondrement de la biodiversité doit-il nous inquiéter ?

    « La nature est essentielle à l’existence humaine et à une bonne qualité de vie. La plupart des contributions de la nature aux populations ne sont pas intégralement remplaçables, et certaines sont mêmes irremplaçables ». C’est ce qu’a souligné l’IPBES (l’équivalent du GIEC pour la biodiversité) dans son dernier rapport d’évaluation de 2019. Tandis que 75 % des milieux terrestres et 66 % des milieux marins sont sévèrement altérés par les sociétés humaines, c’est 1 million d’espèces animales et végétales (sur 8 millions environ) qui sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies.

    Les facteurs directs et indirects de perte de biodiversité se sont intensifiés au cours des 50 dernières années (changement d’affectation des sols, surexploitation des organismes vivants, changement climatique, pollution, espèces envahissantes), provoquant un déclin sans précédent dans l’histoire humaine. A titre d’exemple, le rapport suscité de l’IPBES démontre que les tendances mondiales de la capacité de la nature à maintenir ses contributions à une bonne qualité de vie, de 1970 à aujourd’hui, illustrent un déclin pour 14 des 18 catégories de contributions analysées (pollinisation, alimentation humaine et animale, régulation des organismes et processus biologiques nuisibles, etc.). Le taux mondial d’extinction d’espèces est déjà au moins plusieurs dizaines à centaines de fois supérieur au taux moyen des 10 derniers millions d’années, et le rythme s’est accéléré ces dernières décennies. Or, la biodiversité – et les services écosystémiquesqu’elle fournit – jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’économie et ce, au-delà du seul secteur agricole.

    En quoi est-ce un enjeu pour la stabilité financière ?

    La perte de biodiversité constitue une source endogène de risque macrofinancier. Les sources de risques liés à la biodiversité (tant physiques – en raison de la perte de biodiversité et de la dégradation des services écosystémiques – que ceux liés à la transition vers une économie respectueuse de la nature) pour la stabilité financière ont en effet été mises en exergue en 2022 par le Network for Greening the Financial System (NGFS), un réseau de banques centrales et superviseurs pour le verdissement du système financier (ici, et ici).

    Non seulement ces risques peuvent se renforcer mutuellement, mais les canaux de transmission vers l’économie sont divers, pouvant affecter la stabilité des prix (à l’instar de la déforestation affectant les rendements agricoles et la production hydroélectrique, entraînant une hausse des prix de l’alimentation et de l’électricité – tel que documenté par le GIEC récemment). Les canaux de transmission vers le système financier sont variés, à travers les ménages, les entreprises et les Etats, et génèrent des risques de crédit, de marché, de liquidité, et opérationnels.

    De plus, perte de biodiversité et changement climatique comportent des liens intrinsèques, augmentant les risques de déstabilisation du système planétaire (Mace et al. 2014 ; Dasgupta, 2021) et les sources d’incertitude. Les écosystèmes jouent en effet un rôle clef dans le stockage du carbone et la régulation du climat tandis que le changement climatique est un facteur clé de la perte de biodiversité, par exemple via la déforestation. En outre, les effets de l’effondrement de la biodiversité sont planétaires (dépassement des frontières des services écosystémiques ; effondrement des biomes cruciaux comme l’Amazonie aux conséquences au-delà des frontières sud-américaines ; impacts potentiels en cascade le long des chaînes de valeur). Enfin, la faible substituabilité du capital naturel signifie que ces canaux de transmission du risque peuvent potentiellement générer un risque systémique.

    Que prévoit l’accord de Kumming-Montréal ?

    Tandis que les objectifs dits d’Aichi issu du plan 2011-2020 n’ont pas été atteints (Babin, Leclerc, et Bazile, 2022), l’accord signé en décembre 2022(le Global Biodiversity Framework) a pour objectif d’inverser le déclin de la biodiversité afin de « vivre en harmonie avec la nature ». Il détermine quatre objectifs à horizon 2050 (intégrité et résilience de l’ensemble des écosystèmes ; utilisation durable de la biodiversité ; partage équitable des bénéfices issus de l’utilisation de la diversité génétique ; mesures afin de combler le déficit de 700 milliards de dollars d’investissement), 23 cibles à horizon 2030, et une série de dispositifs de planification, de suivi, et de révision. A noter qu’une section est dédiée aux objectifs de développement durable (ODD[1] ).

    Parmi ces cibles, d’ici à 2030, citons celles d’atteindre 30 % d’aires protégées[2] au niveau mondial (aires terrestres, marines, côtières, et d’eau douce), de restaurer au moins 30 % des aires dégradées, et de réduire de 50 % le taux d’introduction d’espèces envahissantes.

    La réduction des subventions néfastes pour la biodiversité(notamment pour l’agriculture conventionnelle) doit être de 500 milliards USD par an, et la mobilisation de financements (publics et privés) en faveur de la biodiversité, de l’ordre de 200 milliards USD par an, gérés par le Fonds pour l’environnement mondial. Le financement est particulièrement clef pour les pays en développement – qui sont des pays dits « mégadivers » (accueillant plus de 60% de la biodiversité mondiale, incluant des espèces endémiques et les connaissances indigènes associées). 15 des 17 pays mégadivers sont des pays émergents et en développement (NGFS, 2022)[3] . Or, la destruction d'écosystèmes mégadivers tels que les forêts tropicales afin de faciliter le développement d’activités d’atténuation du réchauffement (mines, biomasse, monocultures de capture de carbone) pourrait déclencher des points de basculement aux conséquences économiques désastreuses dans ces économies. L’effondrement de la biodiversité peut en effet entraîner l‘augmentation du risque de crédit et ainsi augmenter le coût de l’emprunt, ce qui est particulièrement néfaste pour les pays en développement (Finance for Biodiversity Initiative, 2022).

    L’encouragement des entreprises et des institutions financières à évaluer et publier leurs risques, dépendances et impacts sur la biodiversité est également une cible.

  • Quelles sont ses limites ?

    Au-delà du caractère non contraignant de l’accord (malgré un processus de suivi et de révision plus robuste que le précédent accord de 2010 au travers de l’analyse des Stratégies et Plans d’Action Nationaux pour la Biodiversité (IDDRI, 2023)), plusieurs limites peuvent être soulignées. Pour les entreprises et institutions financières, malgré l’effet signal clef, l’absence de critère d’obligation de publication des impacts sur la biodiversité et de cibles précises pour les industries aux effets les plus néfastes (à l’instar de l’agriculture et de la pêche industrielles).

    En outre, les cibles de financement demeurent en-deçà de celles recommandées par la communauté scientifique (notamment 700 milliards USD par an en matière de conservation) (Nature, 2022). Des critiques supplémentaires ont été formulées, notamment autour de l’objectif de 30 % de protection des aires protégées non suffisamment précisé (qualité de gestion des aires protégées – plans de gestion et suivi scientifique ; niveau de protection accordé – cf. IDDRI, 2023) ; l’absence de critères précis sur la réduction de l’utilisation de pesticides ou la gestion durable des ressources dans les secteurs de la pêche, la foresterie et l’agriculture ; ou encore l’absence de mentions de la pêche industrielle ou de l’alimentation carnée (Carbone 4, 2022).

    Et maintenant ?

    Les défis sont nombreux, tant sur l’application effective des objectifs de l’accord issu de la COP15, que la précision des critères, sur des fondements scientifiques, via la révision par les Etats des stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité d’ici à la prochaine COP en 2024 en Turquie. Le rôle du système financier (banques centrales et superviseurs, institutions financières internationales, institutions financières), détaillé dans un cahier récent du Forum pour l’investissement responsable, sera l’objet d’une attention accrue en vue d’un alignement effectif des flux financiers.

    Les travaux en cours du NGFS, au travers de l’élaboration d’un cadre conceptuel d’évaluation des risques liés à la perte de biodiversité et de scénarios d’analyse de risquesseront déterminants.



    [1] Notamment l’ODD 14 (vie marine) et l’ODD 15 (vie terrestre).

    [2] L’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) définit la protection comme « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autres, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés » (ici). Plusieurs catégories de gestion sont possible (réserve naturelle intégrale, zone de nature sauvage, parc national, aire protégée pour une utilisation durable des ressources naturelles…), et doivent d’appliquer au moins 75% de la superficie de l’aire protégée. Des discussions ont eu lieu durant les négociations et a posteriori sur l’ambition de l’accord, compte tenu de l’absence de référence à une protection stricte et la mention d’une « utilisation durable » sujette à interprétations. Voir : Une nouvelle ère pour la biodiversité mondiale ? | IDDRI

    [3] Brésil, Chine, Colombie, République démocratique du Congo, Equateur, Inde, Indonésie, Madagascar, Malaisie, Mexique, Papouasie Nouvelle Guinée, Pérou, Philippines, Afrique du Sud, Venezuela.

Charlotte travaille au Département des marchés monétaires et de capitaux du Fonds monétaire international, sur la finance durable et le risque climatique. Elle a débuté sa carrière à l'Autorité des marchés financiers, puis à la Direction générale du Trésor. Elle est membre du Comité scientifique de l’Observatoire sur la Finance Durable, où elle travaille sur le financement des énergies fossiles et les méthodologies d’alignement des portefeuilles financiers, et de comités de recherche supervisés par l’Ademe. Elle finalise actuellement une thèse de doctorat en sciences économiques sur le risque climatique, après des études à Sciences Po Paris, Paris I et Paris II en économie financière et en droit des affaires. Elle enseigne l'économie de l'environnement et du développement à Sciences Po Paris et à la Sorbonne. Ses centres d'intérêt portent sur la finance durable, le financement des infrastructures, la régulation bancaire et financière et la stabilité financière.

Dans la même catégorie :

Standard Post with Image

La fausse bonne idée des rachats d’obligations souveraines en Chine (Policy Brief)

Standard Post with Image

Croissance en Chine : ne pas confondre défiance et vigilance (2/2) (Note)

Standard Post with Image

Croissance en Chine : ne pas confondre défiance et vigilance (1/2) (Note)

Standard Post with Image

Les Enjeux du Commerce International du Plastique : Défis et Perspectives