Pourquoi favoriser le commerce en biens et services environnementaux aiderait à accélérer la transition énergétique ? (Note)

DISCLAIMER : Les opinions exprimées par l'autrice sont personnelles et ne reflètent en aucun cas celles de l'institution qui l'emploie.

Résumé :

  • Les biens et services environnementaux sont nécessaires à la transition énergétique et permettent d’augmenter l’efficience énergétique en offrant des technologies plus propres pour produire et en réduisant tous types de pollution (déchets, bruit et pollution des écosystèmes).
  • Des initiatives locales se multiplient pour accroitre leur production : des pays ou groupes de pays utilisent des instruments incitatifs, au risque de se faire concurrence entre eux et de limiter leur effet sur le changement climatique.
  • Un accord commercial, contribuant à faciliter à l’accès des biens et services environnementaux pourrait complémenter les initiatives nationales.

Les biens et services environnementaux (BSE) servent à mesurer, prévenir, limiter ou corriger les atteintes à l’environnement, telles que la pollution[1] , ainsi que les problèmes liés aux déchets, au bruit et pollution aux écosystèmes (OCDE/Eurostat, 1999)[2] .

Ce groupe de biens et services inclut des objets aussi divers que des filtres industriels, les convertisseurs catalytiques et autres épurateurs d’émissions en ce qui concerne la pollution atmosphérique , des systèmes d’étanchéité des décharges et des installations de compostage des ordures ménagères au regard de la gestion des déchets , des coques d’isolation acoustique et des barrières antibruit limitant la pollution acoustique ou encore des ampoules électroniques à haut rendement et des chaudières à faible consommation d’énergie permettant d’accroitre l’efficacité énergétique.

 Ils sont généralement considérés comme des instruments contribuant à la transition écologique. L’accélération de cette dernière repose ainsi en partie sur la production et l’accessibilité des BSE, permettant de réduire le coût des technologies environnementales, d’augmenter leur utilisation et de favoriser l'innovation et le transfert de technologies (Balineau and De Melo, 2011).

Pourquoi arriver à un accord pour faciliter le commerce des BSE est-il nécessaire ?

En premier lieu, il faut avoir à l’esprit que tous les pays n’ont pas les capacités ou les technologies adéquates pour produire ces biens finaux et leurs composants. Par exemple, d’après Garsous et Worack (2022) seul un petit nombre d’entreprises, concentrées dans quelques pays, possèdent une expertise technologique dans la fabrication des éoliennes. À cet égard, les obstacles au commerce des éoliennes empêchent la diffusion des technologies environnementales clés au plus grand nombre de pays.

De plus (deuxièmement), par nature les chaînes de productions de BSE sont particulièrement fragmentées (i.e., leur production est dispersée dans plusieurs pays). L’augmentation du commerce de ces biens favoriserait l’accessibilité aux biens intermédiaires essentiels à la fabrication des biens finaux permettant la réduction des émissions à effet de gaz serre. Pour donner quelques exemples, les éoliennes contiennent environ 9 000 composants produits le long des chaînes de valeurs mondiales et régionales, les voitures électriques sont fabriquées à partir de composants provenant de nombreux pays, de même que les pompes à chaleurs.  Réduire les limitations au commerce aiderait à soutenir la croissance de ces marchés (World Economic Forum, 2022).

Les technologies et capacité de production des biens liés aux énergies renouvelables sont concentrées dans un nombre limite de pays comme le montre le graphique 1.[3]

Graphique 1 : Capacité de production des composantes de panneaux photovoltaïques par région, 2015-2021

Source: IEA, “Special report on solar PV global supply chain”

Enfin, même si les droits de douane sur les biens environnementaux sont faibles en moyenne[4] , ils restent importants dans les pays à faible revenu (World Trade Report, 2022). Pouvant représenter 11 % de leur prix, ils sont un frein important à l’acquisition de BSE.  L’aide au développement, et les exemptions de droits de douanes dont elle bénéficie fréquemment, est devenu un moyen primordial d’importer des BSE. L’élimination des droits de douane contribuerait ainsi à instaurer des règles du jeu équitables entre certains biens financés par l’aide et les biens importés dans le cadre de transactions commerciales ordinaires (OCDE, 2005).

D’après uneétude de l’OMC prenant en compte les principaux mécanismes par lesquels le commerce des biens environnementaux (BE) peut affecter émissions de CO2[5] , l’élimination des droits de douane et des mesures non-tarifaires sur la partie de ces biens liés à l’efficience énergétique amèneraient une diminution des émissions mondiales de CO2 de 0,6 % en 2030 par rapport à 2021 et augmenterait le PIB mondial de 0,8 % sur des projections jusqu’en 2030. Environ la moitié de cette réduction des émissions proviendrait de la suppression des droits de douane, tandis que l'autre moitié pourrait être attribuée à la réduction des barrières non-tarifaires.

Où est-on avec les accords de libéralisation des BSE ?

Des efforts portant sur la classification de ces biens ont été engagés dans les années 1990, quand le groupe de travail conjoint sur les échanges et l'environnement de l'OCDE a regroupé dans un volume comportant en annexe une liste indicative de biens environnementaux. Cette liste a ainsi pu être utilisée comme point de départ dans les négociations du cycle de Doha sous l’égide de l’OMC, qui n’ont cependant pas permis une réduction des droits de douane plus importante pour les BSE que pour les autres biens.Le 8 juillet 2014, un groupe de Membres de l'OMC a relancé des négociations plurilatérales en vue de l'établissement de l’accord de l’OMC sur les biens environnementaux (ABE) en vue de favoriser le commerce d'un certain nombre de produits environnementaux clés, tels que les éoliennes et les panneaux solaires. Depuis le 18e round ayant eu lieu en novembre 2016, les négociations sont toutefois suspendues. À l’époque, les ministres et les hauts fonctionnaires présents ont reconnu que des travaux supplémentaires étaient nécessaires et ont réitéré leur engagement commun à conclure l’ABE.

Des initiatives individuelles sur l’utilisation des BSE ?

En l’absence d’accord multilatéral sur les BSE, différents pays essayent d’accélérer la transition écologique en favorisant la production et consommation locale des BSE, à l’aide des mesures commerciales protectrices. Ainsi, aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act (IRA), promulgué le 16 août 2022, vise à renforcer la sécurité énergétique et assurer la transition écologique dans l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport au niveau de 2005 d’ici 2030. La loi prévoit une dépense totale de 369 Mds USD sur 10 ans qui inclut notamment des crédits d’impôt pour l’achat de véhicules « propres » et pour l’amélioration de l’efficacité énergétique des logements ou encore des crédits d’impôt et d’investissement pour augmenter la production aux États-Unis de panneaux solaires, d’éoliennes, de voitures électriques, de batteries et de minerais critiques.

Malgré le rôle important de ces mesures pour inciter l’utilisation et la production de ces biens aux États Unis, elles s’accompagnent des règlementations qui conditionnent les crédits d’impôts et subventions à l’origine des composants[6] . Par exemple les véhicules dont les intrants de la batterie proviennent de "foreign entities of concern" (Chine, Russie, Iran et Corée du Nord) seraient à terme exclus du bénéfice du dispositif[7] . L'IRA impose également des exigences de contenu national ou provenant de l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA). En incitant les entreprises à établir ou à déplacer leur production aux Etats-Unis[8] , ces dispositions pourraient susciter des tensions avec différents partenaires commerciaux des Etats-Unis. 

De même, l’Union Européenne (UE) via le projet NextGenerationEU a prévu d’investir 18,9 Mds euros dans des technologies respectueuses de l’environnement, de développer des véhicules et des transports publics plus écologiques, et de rendre les bâtiments et les espaces publics plus économes en énergie. L’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990[9] . Les instruments diffèrent en fonction des pays. Par exemple, avec le plan d'investissement « France 2030 » doté de 54 Mls euros sur 5 ans, la France prévoit d'importantes subventions visant à développer la production de véhicule électriques sur son territoire et de créer une filière hydrogène. Même si ces instruments sont bénéfiques localement pour le développement des technologies vertes et la production des biens environnementaux, une coopération multilatérale, ou la libéralisation du commerce suite a ces initiatives individuelles des pays ou des groupes de pays, permettrait la diffusion des technologies dont seuls certains pays ont la maitrise et aussi d’attendre un objectif environnemental global.

En effet, ce type de politique place ces derniers face à un dilemme : perdre la possibilité de développer une industrie locale au bénéfice d’imports de BSE peu couteux ou bien gagner en autonomie en restreignant le commerce et/ou en subventionnant la production domestique.  Une première ligne de défense consiste à les contester par le biais du règlement des différends de l'OMC ou des mécanismes similaires prévus dans les accords de libre-échange américains. Une stratégie de plus long terme doit cependant être trouvée, au risque de voir ce type de politique se multiplier aux dépends des pays les moins à même de soutenir leur production domestique.

Conclusion

L’environnement est un bien public global. Au vu rôle important à jouer dans l’accélération de la transition écologique, de la dispersion de la production, des solutions et initiatives locales ne peuvent suffire à réduire durablement les émissions mondiales.

En particulier, l’accessibilité des biens et technologies permettant de réduire ces dernières est cruciale pour une transition écologique rapide et largement diffusée : un accord ou un instrument favorisant la coopération est nécessaire. La baisse des droits de douane, l’abaissement des barrières non-tarifaires et la normalisation de la classification des BSE[10] au sein d’une coalition de pays volontaire serait une voie bénéfique pour préserver l’accessibilité de ces biens aux plus grands nombres de pays tout en stimulant leur production mondiale.

References :

Bacchetta, M., Bekkers, E., Solleder, J., & Tresa, E. (2022). Environmental Goods Trade Liberalization: A Quantitative Modelling Study of Trade and Emission Effects.

Balineau, G., & de Melo, J. (2011). Stalemate at the negotiations on environmental goods and services at the Doha Round. FERDI Document de Travail, 28.

Garsous, G., & Worack, S. (2022). Technological expertise as a driver of environmental technology diffusion through trade: Evidence from the wind turbine manufacturing industry. Energy Policy, 162, 112799.

Steenblik, R. (2005). Libéralisation des échanges de produits liés aux énergies renouvelables et de biens associés : Charbon de bois, systèmes solaires photovoltaïques, aérogénérateurs et pompes éolien.

World Economic Forum (2022). Accelerating Decarbonization through Trade in Climate Goods and Services. Insight Report. 

World Trade Report (2022): Climate Change and International Trade, Geneva: WTO



[1] De l’eau, de l’air et du sol.

[2] Tels que les véhicules électriques, les éoliennes, les panneaux solaires, les pompes à chaleurs.

[3] Check Renewables 2021 - Analysis and forecast to 2026 (windows.net)

[4] Un certain nombre d’accords commerciaux comprennent des dispositions visant à limiter les droits de douanes de certains BES, de façon fortuite, ceux-ci n’étant pas visés en tant que tels.

[5] Bacchetta et al., (2022) prennent en compte l’amélioration de l'efficacité énergétique et le remplacement des énergies non-renouvelable avec de l'énergie renouvelable.

[6] Des exceptions sont prévues dans certaines circonstances où les produits nationaux ne sont pas disponibles ou sont excessivement coûteux.

[7] Un véhicule ne sera ainsi pas admissible au crédit d'impôt à compter du 1er janvier 2024, si une partie des composants de la batterie du véhicule ont été fabriqués ou assemblés par une entité visée et à compter du 1er décembre 2025, si une partie des minerais critiques contenus dans la batterie du véhicule ont été extraits, traités ou recyclés par une entité visée. 

[8] Ceci est le cas par exemple pour Hyundai, la compagnie coréenne qui désormais prévoit de localiser sa production aux États-Unis d’ici 2024.  Ainsi, Hyundai Motor a indiqué son intention de construire une usine de batteries à proximité de l’usine d’assemblage, avec l’aide d’un partenaire, et Hyundai Mobis, équipementier rattaché au groupe Hyundai (Financial Times).

[9] Voir  Recovery plan for Europe | European Commission (europa.eu)

[10] Par exemple, plus récemment, l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) a publié la version 2022 de la classification harmonisée des produits, qui comprend de nouveaux codes de marchandises spécifique à plusieurs technologies utilisant l'énergie solaire et des diodes électroluminescentes écoénergétiques. A regarder aussi : Why new tariff codes are necessary to improve trade and combat climate change | LSE Business Review

Diplômée de l’École d’Économie de Toulouse et de l’École d’Économie de Paris, Enxhi Tresa est docteure en économie de CY Cergy Paris Université. Elle travaille actuellement comme économiste à l'OCDE après avoir évolué au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ses travaux portent sur les chaînes de valeur de produits, la politique commerciale, les délocalisations,les marchés publics et le lien entre commerce international et changement climatique.

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