Prospérité commune, nouveau cap pour la croissance en Chine ? (Note)

DISCLAIMER : Les opinions exprimées par l'autrice sont personnelles et ne reflètent en aucun cas celles de l'institution qui l'emploie.

Résumé :

  • Le ralentissement de l’économie chinoise et ses déséquilibres structurels (la dépendance de l’économie à l’investissement et aux exportations) posent question tandis des risques financiers (endettement privé, repli du secteur immobilier) et sociaux font peu à peu leur apparition.
  • Pour y faire face, les autorités souhaitent désormais enclencher une nouvelle phase de développement et s’appuyer sur des nouveaux moteurs de croissance en se basant sur une stratégie connue sous le nom de « prospérité commune ».
  • Le concept de la « prospérité commune » corrigerait ces déséquilibres et soutiendrait davantage la consommation domestique : en réformant le système de répartition de la richesse et en renforçant la protection sociale. Il participerait également à la réduction des inégalités et maintiendrait la stabilité sociale.
  • Toutefois, les autorités devront accepter une croissance de l’activité moins dynamique. Une répression sévère des secteurs clés pour lutter contre la spéculation pourrait également déstabiliser l’économie et la confiance des ménages et entreprises. 

Annoncée en 2021 lors du Comité Central de l’Economie et de la Finance (CCEF) et réaffirmée lors du Congrès National du Parti Communistes en octobre 2022, la prospérité commune constitue une mesure phare pour changer le modèle de développement économique de l’administration de Xi Jinping. Elle complète la stratégie de « circulation duale », introduite en mai 2020, qui consiste à moins axer le modèle économique sur les exportations pour se concentrer davantage sur le développement du marché domestique pour répondre aux besoins du marché chinois. 

La stratégie « prospérité commune » sert deux objectifs, autant sur le plan économique que sur le plan social. Elle permettrait en effet de stimuler la consommation domestique en élargissant la classe moyenne tout en améliorant le système de répartition des revenus et de la protection sociale. Ces réformes stimuleraient la consommation privée et réduiraient la dépendance de l’économie aux investissements tirés par le crédit bancaire. De plus, elles proposeraient une piste de solution pour atténuer les risques financiers liés à l’endettement. 

Cet article vise à exposer les raisons pour lesquelles la Chine cherche à faire évoluer son modèle de développement économique en s’appuyant sur la stratégie « prospérité commune » et quels en sont les principaux objectifs.

1. Une économie à bout de souffle

1.1  Une croissance structurelle en déclin 

Après des années de performance exceptionnelle jusqu’à la moitié des années 2010, la Chine connaît un ralentissement économique prononcé avec une croissance moyenne pré-pandémique de +7 % en moyenne. En 2022, elle raterait sa cible de croissance de +5,5 % prévue en début d’année. Si le ralentissement est en partie imputable à l’évolution et la gestion de la crise sanitaire et d’un ralentissement de la demande mondiale, ce ralentissement comprend une part non négligeable des causes structurelles. 

L'accélération du déclin démographique (vieillissement de la population et taux de natalité historiquement bas) et le ralentissement économique lié à la crise du coronavirus rappellent à la Chine les conséquences d'un endettement privé excessif. Les autorités reconnaissent que l’endettement privé n’est effectivement plus soutenable (200 % du PIB) et ont de ce fait, accéléré en 2021 les mesures de « répressions » qui relèvent pour la majeure partie de la « prospérité commune », afin de corriger les inégalités sociales, d’équilibrer la croissance et assurer la stabilité financière. 

1.2 Le resserrement réglementaire révèle la difficulté de recourir aux moteurs de croissance traditionnels  

Les premiers signaux dans l’industrie immobilière montrent toutefois les limites de la prospérité commune. Le resserrement réglementaire opéré pour contrôler l’expansion de l’endettement privé, bien que nécessaire, a provoqué une crise de liquidité dans l’immobilier, secteur représentant près d’un tiers du PIB. En effet, en mettant en place les Trois Lignes Rouges[1] , les conditions d’accès au financement des projets immobiliers ont provoqué un stress de liquidité parmi les promoteurs immobiliers et une série de défauts (comme ceux observés avec Evergrande, Kaisa ou encore Shimao à la fin de 2021). L’accès au financement étant plus limité, les promoteurs endettés ont été contraints de suspendre les projets immobiliers, pour la plupart pré-vendus.

La crise immobilière a alors dégradé fortement la confiance des ménages. Nombre d’entre eux ont arrêté le remboursement de leur prêt en guise de protestation, affectant près de 340 projets immobiliers en septembre 2022. La demande a été également faible, les prix immobiliers et les volumes de transactions sont en contraction depuis mai, et ce malgré les mesures de soutien annoncés comme le fonds de 147 mds USD pour aider les promoteurs immobiliers à achever les projets en cours. 

En s’attaquant au secteur de l’immobilier, les autorités s’attaquent en réalité un moteur de croissance souvent utilisé par le passé pour redémarrer la croissance, en stimulant la croissance du crédit. Il semblerait que seules les mesures de soutien, fiscal et monétaire pourraient à court terme stimuler la croissance. 

1.3 Des marges de manœuvre limitées à court terme pour relancer la croissance

Si toutefois les autorités ont affiché leur volonté de stabiliser l’économie en 2022, en réalité, les marges de manœuvre semblent assez limitées. La hausse des taux aux Etats-Unis accroît la pression des sorties de capitaux de Chine. Pour autant, les autorités monétaires chinoises ont concédé plusieurs baisses des taux d’intérêt en 2022, privilégiant le soutien de l’activité à court terme plutôt que chercher réellement à lisser la baisse du renminbi[2] . La réduction des taux d’emprunt à 1 an et 5 ans de 5 points de base en août dernier, respectivement à 3,65 % et 4,3 % n’a cependant pas réussi à redémarrer la consommation domestique, ni le marché immobilier.

L’outil budgétaire a été utilisée avec plus de prudence pour soutenir l’activité afin d’éviter d’augmenter trop fortement la dette des gouvernements locaux. En effet, la dette augmentée du FMI, comprenant la dette des gouvernements locaux et central et la dette hors budget (comme les véhicules de financement des administrations locales), s’est dégradée entre 2019 et 2021, en augmentant de 20 points de PIB pour s’établir à 101 % du PIB. L’essentiel de la dette publique est supporté par les gouvernements locaux afin de maintenir la dette du gouvernement centrale basse (21% du PIB en 2021). Or les confinements, la hausse des dépenses sanitaires (tests covid de masse), les réductions d’impôts et la chute des prix immobiliers[3]  ont fortement détérioré l’état des finances des gouvernements locaux. 

2. Le modèle économique tiré par l’endettement, catalyseur de risques financiers et sociaux 

2.1 Un rééquilibrage nécessaire pour réduire les risques liés à un endettement endémique 

Le déséquilibre de la structure de l’économie chinoise prend sa source au début des années 2000. L’essor des exportations a permis à l’économie d’enregistrer d’importants excédents commerciaux - avec notamment un pic de 9 % du PIB en 2017. En parallèle, la part des investissements dans le PIB est devenu également significative, en moyenne de 36 % du PIB au début des années 2000, soutenue par le développement de l’activité manufacturière et dans les infrastructures pour répondre à une demande croissante de logements. A l’aube de la crise financière mondiale de 2008-2009, l’investissement représentait près de 40% du PIB, excédant les niveaux observés au Japon, en Corée du Sud lors de leur phase de forte croissance, précédant la crise asiatique. Elle avoisine aujourd’hui les 42 % du PIB alors que la consommation privée stagne à 37 % du PIB depuis 2016. 

Ce déséquilibre s’est significativement creusé lors de la crise financière de 2008. Pour répondre à une insuffisance de la demande extérieure (une baisse de 20 % des exportations en 2009) et à la chute des profits des entreprises, une relance massive de l’ordre de 12 % du PIB, tirée par les investissements dans les infrastructures avait été mise en place afin de maintenir la cible de croissance à +8 %. Or, l’augmentation de l'investissement s’est rapidement accompagnée d’une hausse substantielle de l’endettement des entreprises et des ménages, notamment via des prêts hypothécaires en lien avec le développement du secteur immobilier. En effet, les politiques ont encouragé l’emprunt des ménages afin de transférer le flux de crédit des entreprises zombies[4]  vers les ménages en 2015. Par ailleurs, les prix immobiliers ont fortement augmenté à partir de 2016 (+10 % en moyenne), un phénomène qui s’est accompagné par une hausse rapide de l’endettement des ménages (de 28 % du PIB en 2012 à 61 % début 2022). 

2.2 Un rééquilibrage pour adresser les inégalités et soutenir la consommation domestique

Le concept de la « prospérité commune » reprend en partie la vision de l’ancien Président Deng Xiaoping, celle d’une “société modérément prospère”, un objectif qui aurait été atteint en 2021 avec l’annonce de l’éradication de la pauvreté absolue. Toutefois, la philosophie de Deng que “certains peuvent s’enrichir en premier” a permis à la Chine de bénéficier d’une rapide croissance mais s’est accompagnée également d’une augmentation des inégalités de revenus et de richesse. 

En effet, le coefficient de Gini, mesurant le degré d’inégalité au sein de la population, reste encore à des niveaux élevés si l’on compare à ceux des économies développées. Selon les chiffres de la Banque Mondiale, le coefficient de la Chine, bien qu’il ait reculé de 5 points en dix ans, est à 38 en 2019 contre 31 en Corée, 32 au Japon et en France (100 reflétant une parfaite inégalité). Les chiffres de revenus par quintile du Bureau National des Statistiques témoignent également de la concentration des richesses vers le dernier quintile, même si la répartition des revenus est restée relativement inchangée depuis ces dix dernières années. 

Malgré les préoccupations autour des inégalités de revenus, le système d’imposition en Chine a été inégal et pénalise davantage la classe moyenne que les plus aisés. La majeure partie des recettes fiscales de la Chine provient de la TVA et des cotisations de sécurité sociale, et impose donc une charge plus lourde à la classe moyenne et aux plus pauvres. De plus, la Chine ne collecte pas d’impôts sur les gains de capitaux, ni sur l’héritage ni sur la propriété privée. En effet, la Chine est l’un des rares pays au monde exemptant les ménages de la taxe foncière[5] , elle dépend des revenus provenant des leasings des terrains publics. 

Nous devrions donc nous attendre à des réformes du système d’imposition, dans le cadre de la poursuite de la prospérité commune. Xi a notamment souligné dans son discours d’ouverture du Congrès, son engagement à réglementer le système d’accumulation de la richesse. Au vu de la structure fiscale, la mise en place de la taxe foncière et l’imposition sur l’héritage pourrait être envisagée par les autorités à l’avenir, ciblant les plus aisés. Le projet d’introduction d’une taxe foncière a toutefois été reportée en raison de la crise que traverse actuellement le secteur immobilier.

Structure fiscale en Asie (% du PIB)

Source : OCDE, Statistiques des revenus, BSI Economics 

Enfin, une meilleure couverture sociale pourrait réduire l’épargne de précaution des ménages et améliorer la consommation. La transition de la Chine d’une économie planifiée vers une économie de marché s’est accompagnée de la transformation de la couverture sociale qui reste encore faible. Les dépenses publiques en matière de protection sociale restent encore loin des pays développés - la Chine est à 7 % du PIB contre 18 % par exemple au Japon. Les filets de protection sociale étant peu développés, cela a incité les ménages à constituer une épargne de précaution, l’une des plus élevées au monde (44 % du PIB contre une moyenne mondiale de 28 %). 

De plus, le Plan national d’urbanisation (2014-2020) lancé en 2014 n’a pas réussi à réformer le système des « hukou ». Adopté par la Chine dans les années 1950, le système « hukou », divise tous les citoyens en deux sous-systèmes : un pour les résidents urbains et un autre pour les résidents ruraux. Or, la plupart des travailleurs urbains à faible coûts n’ont pas de certificat d’enregistrement, ce qui ne leur permet pas d’accéder aux prestations sociales de base, tels que l’éducation publique pour leurs enfants, forçant les parents migrants à laisser leurs enfants au village et produisant des dizaines de millions de familles séparées. L’un des principaux objectifs des réformes des « hukou » était de combler modestement l’écart ou le déficit des prestations sociales urbaines de deux points de pourcentage d’ici 2020, c’est-à-dire de 17,3 % en 2012 à 15 % en 2020. Les données montrent toutefois que l’objectif n’a pas été atteint. A l’inverse, le déficit des prestations sociales s’est creusé, et est de 26,6 % en 2020 selon l’organisation KNOMAD qui recense les migrations, ce qui est supérieur à l’objectif de 15 % fixé en 2014.  

Dans la pratique, les autorités déjà ont lancé un programme pilote depuis juin 2021 à Zhejiang, considérée comme la « pierre angulaire » de la prospérité commune, en accélérant l’urbanisation et la transformation technologique de ses zones manufacturières. La province a pour ambition d’accélérer le taux d’urbanisation de 72 % en 2020 à 75 % d’ici 2025, soutenue par les investissements du gouvernement dans les infrastructures. 

Source : NBS, Bloomberg 

Conclusion

Le virage économique de la Chine est désormais vital pour accéder à une croissance plus équilibrée et donc plus soutenable, où la consommation privée serait au centre du modèle économique. 

Si Prospérité Commune constitue la voie souhaitée, comme l’ont rappelé les autorités lors du 20e Congrès de Parti Communiste, elle pourrait néanmoins se révéler risquée à court terme si les autorités perdent la confiance domestique à travers des mesures jugées sévères, dans un environnement extérieur devenant moins favorable à la Chine.

Sources

China’s economic growth and rebalancing and the implications for the global and euro area economies, ECB, 2017 

How inequality is undermining China’s prosperity, CSIS, 2022 

CPC Future, The New Era of Socialism with Chinese Characteristics, Frank N. PIeje and Bert Holman, editors 2022

Revenue Statistics in Asia and the Pacific 2022: Strengthening Tax Revenues in Developing Asia, OCDE, 2022

Xi’s vow to regulate wealth spurs calls for taxing the rich, Bloomberg, oct 2022

Rebalancing Act: China’s 2022 Outlook, jan 2022 et mise à jour juin 2022, Banque Mondiale

China’s Shift to Consumption-Led Growth Can Aid Green Goals, jan 2022, FMI 



[1]  Les Trois Lignes Rouges : critères de solidité financière que les promoteurs immobiliers doivent respecter pour emprunter davantage. Parmi ces critères, il faut un ratio actif passif inférieur à 70%, un ratio d’endettement net inférieur à 100%

[2]  La Banque centrale a néanmoins abaissé le ratio de réserves obligatoires en devises des banques afin de tenter d’éviter une chute plus brutale du renminbi.

[3]  Les cessions de terrains, via des droits d’usage, constituent une part très significative des recettes des gouvernements locaux. 

[4]  Les entreprises zombies : le Conseil d'État chinois définit les «zombies» comme des entreprises qui subissent trois ans de pertes, ne pouvant pas répondre aux normes environnementales et technologiques, ne s'alignant pas sur les politiques industrielles nationales et reposant fortement sur le soutien du gouvernement ou de la banque pour survivre. Une politique expansionniste a encouragé les investissements vers des industries peu profitables. 

[5]  Toutefois, un projet de création d’une taxe foncière harmonisée sur l’ensemble du territoire est en discussion depuis plusieurs mois, dans le but notamment de soutenir les finances publiques des gouvernements locaux. La crise immobilière viendrait néanmoins reporter un tel projet.

Diplômée de l’Université Paris-Dauphine en Economie et Ingénierie financière et en Finance parcours Assurance et Gestion du Risque, Evelyne Banh est actuellement économiste pour la Société Générale. Elle a auparavant travaillé au sein du service économique régional de la DG Trésor à Singapour, à Euler Hermes et à Lyxor Asset Management. Ses intérêts portent sur les politiques monétaires et budgétaires ainsi que les enjeux économiques relatifs à l’Asie.

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