Répression financière à la pékinoise (II) : Quels effets de la libéralisation des taux d’intérêt ?

Résumé:

- Le modèle de croissance chinois semble être arrivé en fin de cycle avec la baisse de la demande externe et la baisse significative de l’efficacité de l’investissement.

- Pour passer au stade suivant de développement et sortir de la répression financière qui crée beaucoup d’inefficacités, la réforme financière chinoise est essentielle : la libéralisation des taux d’intérêt en est une étape importante.

- Une hausse des taux d’intérêt aurait trois effets vertueux : sortir du surinvestissement improductif, favoriser la consommation et ne pas rester bloqué dans une trappe à développement.

- Il ne faut pourtant pas sous-estimer les barrières qui peuvent être des freins importants à une réforme de cette ampleur.

La répression financière (taux d’intérêt bas, taux de réserves obligatoires élevé, allocation dirigée des crédits…) est essentielle pour comprendre le développement important mais déséquilibré de la Chine. Bien que la répression financière soit généralement considérée comme un frein au développement (voir McKinnon (1973) et Shaw (1973)), les contrôles de capitaux et les caractéristiques spécifiques de la Chine sont à la base du développement. Pour autant, les coûts semblent désormais surpasser les avantages : des réformes s’imposent donc au nouveau gouvernement chinois (voir Répression financière à la pékinoise (I)).

L’investissement est de moins en moins efficace

Une des conséquences de la répression financière est la faible efficacité du capital (voir Répression financière à la pékinoise (I)) qui fait peser des risques sur la croissance chinoise de long-terme. En effet, les crédits bancaires (125% du PIB en compilant les données de la Banque Populaire de Chine pour les prêts bancaires accordés aux ménages et aux entreprises), qui représentent le moyen de financement le plus courant en Chine, sont le plus souvent alloués aux secteurs public et para-public qui peuvent disposer de façon quasi illimitée et peu chère de l’épargne abondante des ménages chinois. Or, ces fonds servent le plus souvent à financer des projets dans les infrastructures ou alors dans des secteurs qui sont déjà en surcapacités (notamment dans les énergies renouvelables et plus particulièrement dans les panneaux solaires) et qui ont par conséquent des rendements faibles. Cela induit une baisse substantielle de la productivité de l’économie chinoise car l’investissement productif est sous-développé d’où une diminution de la croissance potentielle.

Pour remédier à cela, la libéralisation des taux d’intérêt pourrait apporter plusieurs solutions et favoriser le rééquilibrage de l’économie. Cette réforme aurait trois effets vertueux : sortir du surinvestissement improductif, favoriser la consommation et ne pas rester bloqué dans une trappe à développement.

Rééquilibrer l’économie vers le secteur privé et le marché

Les taux d’intérêt sont bas en comparaison de la croissance du PIB, ce qui continue à donner des incitations au surinvestissement et crée des distorsions inefficaces dans l’allocation du capital. Une augmentation du coût du capital aurait donc deux conséquences.

Premièrement, une hausse des taux permettrait de faire sortir du circuit financier les projets les moins rentables. Si le taux d’intérêt passait au-dessus du taux de rendement, le gouvernement ne pourrait pas soutenir indéfiniment les entreprises publiques qui investissent dans des projets peu rentables. Cela pourrait augmenter l’efficacité moyenne de l’investissement et l’épargne serait allouée d’une manière plus optimale.

Deuxièmement, une réforme des taux d’intérêt permettrait de se rapprocher de l’équilibre du marché des crédits. En supposant que les quotas et l’allocation dirigée des crédits disparaîtront au fur et à mesure du temps, une augmentation du taux d’intérêt sur les prêts augmenterait l’offre de crédits à des niveaux plus proches de l’équilibre du marché. Cette nouvelle offre permettrait de répondre à la demande des entreprises privées qui se trouvaient dans l’impossibilité de se financer par les canaux traditionnels. Elles paieraient un taux d’intérêt plus bas que celui qu’elles payent sur le marché informel et ce malgré la hausse du taux nominal.

Rééquilibrer l’économie vers la consommation privée

Une réforme des taux d’intérêt agirait aussi sur l’équilibre consommation-investissement.

En s’aidant de cinq équations simples, nous pouvons  tenter d’estimer les effets d’une hausse des taux d’intérêt sur les dépôts et les prêts.

Soient Y, X, W, C, S, r, i, p, w, L et K respectivement les revenus totaux, les revenus de l’épargne, les revenus du travail, la consommation, l’épargne brute, le taux d’intérêt réel sur les dépôts (corrigé de l’inflation), le taux d’intérêt nominal sur les dépôts, l’inflation, le salaire, le travail et le capital.

X = (1+r)S (1)

C = Y-S (2)

r = i-p (3)

Y = W+ X (4)

r/w = L/K (5)

A inflation constante, une augmentation du taux d’intérêt nominal sur les dépôts augmente le taux d’intérêt réel. D’après (1) une augmentation du taux d’intérêt r créerait un effet prix : le rendement de l’épargne étant supérieur, les revenus financiers X (à épargne S constante)  augmenteraient ce qui induirait une hausse consécutive de la consommation d’après (4) puisque les revenus totaux Y augmentent.

D’après (1) et partant du principe que les Chinois sont des « target savers »  (ils visent un certain montant d’épargne X) créerait tout d’abord un effet volume : pour obtenir  le même montant X à la date t+1, il sera nécessaire d’épargner moins à la date t d’où une diminution du taux d’épargne et une augmentation de la consommation puisque S diminue. Ici Y est constant.

Le troisième effet d’une hausse du taux d’intérêt sur la consommation passerait par les prix relatifs du capital et du travail. Toutes choses égales par ailleurs, une hausse du prix du capital diminuerait le prix relatif du travail, ce qui pousserait les entreprises à être plus intensives en travail, à embaucher plus de travailleurs qui connaîtraient une hausse de leurs revenus et consommeraient d’autant plus (équation (5)). Cela permettrait aussi de développer les services qui sont intensifs en travail par rapport à l’industrie. D’autre part, avec l’augmentation induite des revenus et du développement, la demande pour les services se développera et permettra l’augmentation de l’emploi en Chine d’où un cercle vertueux. Une baisse de l’investissement, qui couplé à une hausse de la consommation, permettrait de rééquilibrer l’économie chinoise : si la consommation privée croît plus vite que l’investissement alors la part de la consommation dans le PIB va augmenter toutes choses égales par ailleurs.

Ne pas rester bloqué dans une trappe à développement

A un certain niveau de développement, les sources traditionnelles (extensives) de la croissance (ici l’investissement principalement), ne suffisent plus pour permettre à une économie de passer au stade supérieur du développement. Il est à noter que de nombreux pays, après avoir connu une accélération de leur croissance, n’ont pas réussi à rattraper le groupe des pays développés à cause de cette incapacité à se réformer (notamment des pays d’Amérique Latine comme le Brésil, le Mexique, le Pérou ou encore l’Argentine qui était considérée comme une puissance émergente pendant la 1ère moitié du XXème siècle et qui depuis est en crise quasi-permanente). Si la Chine ne veut pas se retrouver piégée dans cette trappe à développement, il va falloir qu’elle transforme sa croissance extensive en croissance intensive, c’est-à-dire une croissance de meilleure qualité. Il faudrait donc que la Chine mette en place des réformes structurelles qui assurent une allocation plus optimale des ressources et notamment des ressources financières.

Dès 2007, le premier ministre Wen Jiabao notait que la croissance chinoise était « unstable, unbalanced, uncoordinated, and unsustainable ». Et le 12èmePlan Quinquennal (2011-2015) prend en compte les nouvelles problématiques auxquelles fait face la Chine : le rééquilibrage de l’économie vers la consommation et le secteur privé, la réduction des inégalités sociales, l’innovation, la protection de l’environnement et l’efficacité énergétique. Les dix prochaines années vont être déterminantes et la nouvelle équipe dirigeante chinoise semble être d’accord pour donner progressivement plus de poids à la consommation et au secteur privé. La réforme financière devrait être un élément clé de cette nouvelle stratégie.

Les intérêts particuliers face à l’intérêt général

Le système économique chinois de planification centralisée a jusqu’à présent très bien marché en délivrant des résultats dont peu de pays peuvent se targuer. Pourtant le ralentissement progressif de l’économie chinoise, le surinvestissement et la réduction des débouchés à l’exportation sont autant de signes annonçant la fin d’un cycle. D’ailleurs les autorités semblent avoir intégré ces nouvelles données et multiplient les annonces pour un changement de paradigme vers une croissance plus faible, qui soit plus soutenable et moins fictive (la cible du plan quinquennal pour la croissance annuelle du PIB est de 7%).

Pour Zhang Jun dans un article de Project Syndicate, « un système économique n’est efficace que s’il arrive à s’adapter pour favoriser une nouvelle phase de développement ». L’organisation institutionnelle du pouvoir de manière centralisée et peu démocratique, indépendant de tout groupe d’influence, a sûrement été un facteur favorisant la prise de décision et le développement économique durant les 30 dernières années et a montré une très forte résilience face aux chocs économiques. Cependant, avec le développement rapide, les grandes entreprises et banques commerciales principalement détenues par le secteur public ont acquis un poids politique excessif. La question qui vient à l’esprit est donc la suivante : la Chine est-elle capable de s’adapter ?

En effet, puisque la répression financière assure aux banques chinoises un profit de monopole, la libéralisation des taux d’intérêt qui augmenterait la compétition pour capter l’épargne des ménages réduirait la profitabilité de ces banques qui sont majoritairement publiques. Sans parler du renchérissement du coût du capital pour les entreprises publiques et de l’augmentation de l’endettement public de manière plus globale suite à la hausse des taux d’emprunt qui pourraient créer quelques problèmes. De plus, une hausse des taux d’intérêt attirerait des capitaux qui pousseraient le RMB à la hausse. Cela affaiblirait un peu plus la compétitivité chinoise qui ne cesse de s’éroder. Enfin, des taux d’intérêt plus élevés nécessiteraient une moindre croissance de l’offre de monnaie en excluant tout recours à l’accumulation de réserves de change (voir Chine : l'impossible sortie de la répression financière, Natixis (2012)).

Au vu des liaisons dangereuses entre mondes politique, économique et financier, mettre en place une telle réforme pourrait être vécue comme se tirer une balle dans le pied et pousserait le gouvernement à adopter les mauvaises décisions.

Pourtant si les élites dirigeantes veulent garder leur position dominante, il leur faudra absolument mettre en place les réformes qui assureront la croissance de long terme et rester neutres face aux intérêts particuliers. Il est néanmoins évident qu’une telle réforme s’échelonnera dans le temps afin d’éviter de trop brusquer les agents qui souhaitent le statu quo. Et n’oublions pas que cette réforme n’est qu’une réforme à mettre en place dans un cadre plus global de libéralisation financière : libéralisation du taux de change, ouverture du compte de capital, amélioration de la supervision financière…

Références:

Artus et Xu, 2012, Chine : l'impossible sortie de la répression financière, Natixis

Shaw, A.S. 1973. Financial Deepening in Economic Development. Oxford University Press.

McKinnon, R. I. 1973. The Order of Economic Liberalization: Financial Control in the Transition to a Market Economy. Baltimore: Johns Hopkins University Press.