PME, startups et innovation - Bilan d’une relation complexe - Partie 1 (Note)

Utilité de l’article :Les startups et l’innovation des PME concentrent de plus en plus l’attention tant au sein du débat public que dans le discours politique. Cela se traduit par l’adoption de politiques publiques soutenant l’innovation et la croissance. Récemment encore, le plan de relance et le PIA consacre y une part de ses budgets. Dans ce contexte, cette note s’emploie à éclaircir quel est le rôle de ces entreprises dans la dynamique d’innovation et quel est leur poids dans l’économie (Partie 1). Cette première note s’adresse donc notamment à un public découvrant le sujet ou à la recherche de chiffres clés.  Pour aller plus loin, dans une deuxième note (Partie 2), nous nous penchons sur les difficultés propres à ces entreprises et qui pourraient justifier d’un soutien public spécifique. De plus, nous nous sommes intéressés aux risques associés l’expansion de la population des startups et aux potentiels remèdes qui pourraient y être apporté.

Partie 1 – Les jeunes entreprises innovantes : pourquoi et combien ?

Résumé :

  • Les PME et les startups jouent un rôle très important dans la production des innovations dites disruptives. Mais plus que pour des raisons d’avantages comparatifs, cela semble s’expliquer par des mécanismes incitatifs.
  • A l’inverse les petites et jeunes entreprises semblent rencontrer de plus fortes barrières à l’innovation. Les défaillances de marché présentes pour toutes les entreprises touchent plus durement cette population.
  • En France, les PME représentent la large majorité des entreprises mais une minorité des dépenses en innovation, comme c’est le cas partout dans le monde. Depuis quelques années on assiste cependant à un réel essor de l’écosystème des PME innovantes, tant au niveau du nombre de startups, que sur le financement en capital risque.
  • Cette tendance semble structurellement solide. La crise de la Covid-19 ne s’est pas traduit par une forte contraction des fonds en capital-risque ni par un déclin de l’activité des startups.   

L’OMPI a publié en octobre 2020, sa 13ème édition des pays les plus innovants dans le monde. Celle-ci a fait grand bruit en France. Le pays est monté de quatre places passant du 16ème au 12ème rang. En 2021, une place a encore été gagnée pour atteindre la 11ème position.

Parmi les facteurs déterminants pour le niveau d’innovation, l’OMPI met en avant l’accès au financement et le soutien des autorités publiques. L’innovation est un élément clef de la croissance, de la compétitivité internationale mais aussi dans l’orientation de l’économie, tant sur les aspects de santé que de transition environnementale. De ce fait, l’organisation appelait de ses vœux à ce que les efforts et les améliorations obtenues pour dynamiser le secteur au cours des dernières années ne soient pas remis en cause par la crise du Covid-19.

Ce succès français a, entre autres, été attribué au développement de l’éco-système « startups » en France. L’intérêt porté à ce dernier ne semble pas se démentir avec le grand plan d’investissement lancé le mardi 12 octobre 2021 par le Président de la République Emanuel Macron. Ce dernier fait en effet la part belle à la R&D privée et l’innovation dite disruptive pour laquelle les petites et jeunes entreprises ont un rôle essentiel.

L’innovation par des petites entreprises étant devenu un sujet central du débat public, cette note en deux parties propose de faire un point sur ce sujet. Dans ce premier volet, nous tenterons d’apporter aux lecteurs un éclairage sur le rôle des petites entreprises pour la dynamique d’innovation (Pourquoi les PME innovantes ?). Puis quelques chiffres clés seront donnés sur l’activité de ces acteurs en France (Combien d’innovation par les PME ?).

1) Pourquoi les petites entreprises ont un rôle essentiel dans le processus d’innovation

La question du profil idéal d’une entreprise pour innover a occupé une place importante tant au sein de la recherche théorique qu’empirique.

L’opposition théorique la plus connue est celle entre Schumpeter et Arrow.

Schumpeter reconnait aux grandes entreprises ayant un fort pouvoir de marché et/ou exerçant sur un marché concentré une plus grande capacité à innover. Pour lui, cela tient à deux raisons. D’une part, elles ont un avantage comparatif dans ce domaine. Les marchés concentrés, organisés en oligopole ou en monopole réduisent l’incertitude liée aux activités d’innovation car il y est plus aisé d’anticiper les actions et réactions des autres agents. De plus, les grandes entreprises ayant un certain pouvoir de monopole peuvent plus facilement dégager des profits, ce qui implique une plus grande capacité d’autofinancement financement des activités de R&D par nature risquées. D’autre part, ces entreprises sont poussées à innover pour maintenir ce pouvoir de marché et prévenir que d’autres entités nouvelles ne leur fassent concurrence[1] .

A l’inverse Arrow, en 1962, argumente que l’accroissement de la concurrence sur les biens (Product market competition) tend à favoriser l’investissement en R&D. Cela est dû, selon lui, au « replacement effect ». Cet effet est un mécanisme d’incitation. Un monopole a peu d’incitation à investir en R&D car l’espérance de ses gains à l’innovation est limitée par la taille importante de son marché actuel. Une partie importante des résultats de son innovation ne viendront que remplacer ses résultats préexistants.

Depuis l’élaboration de ces deux théories, la recherche empirique a dressé le portrait d’une réalité plus nuancée où les deux théories ne s’opposent pas mais cohabitent.

De manière assez résumée, et donc imparfaite, la recherchetend à établir que les petites et les grandes entreprises sont complémentaires dans leurs innovations. Cela s’explique par des mécanismes d’incitation. Les grandes entreprises sont plus incitées à investir dans des innovations incrémentales ou de procédé. En effet, en innovant, une partie de leurs nouvelles ventes vont se faire par la cannibalisation de leur ancien produit, de plus leur espérance de croissance est limitée.  En ce sens, les petites entreprises ont un poids disproportionné compte tenu de leur part dans l’investissement total en R&D dans la production d’innovation disruptive.

En termes d’avantage comparatif, il est clair que les grandes entités ont une plus grande facilité de financement. Entre autres, les petites entreprises ont une moindre capacité d’autofinancement. De plus, elles ont un accès plus restreint au marché des capitaux. De multiple facteurs expliquent ce phénomène, on peut notamment citer leur plus faible collatéral, le plus grand risque perçu associé à leur financement, leur moindre capacité de diversification dans les activités de R&D. Pour les jeunes entreprises innovantes, le manque d’information notamment sur leurs activités passées accroît encore le risque associé à leur financement.

A l’inverse, certains argumentent que les PME disposent d’un avantage comparatif pour conduire des travaux d’innovation disruptive. Une hypothèse défend l’idée selon laquelle l’importance du poids managérial au sein des grands groupes crée une perte de contrôle des équipes de R&D affectant la conduite de projet en recherche plus fondamentale. Si cette hypothèse est régulièrement avancée, il n’existe pas de consensus à ce propos[2] .

Finalement, il est important de souligner que toutes les PME ne sont pas innovantes, loin de là. En somme, on peut distinguer trois catégories de PME :

  • Les PME classiques n’entreprennent jamais d’innovation.
  • Les PME adoptantes ont un profil d’innovation relativement faible.  Elles investissent cependant régulièrement en R&D pour acquérir, adopter et appliquer de nouvelles technologies. Elles représentent la majorité des PME innovantes.
  • Enfin, les PME pionnières investissent afin de développer et de combiner des technologies pour aboutir à des innovations non seulement nouvelles pour l’entreprise mais pour le marché. Ce sont elles qui sont la cible des politiques publiques et l’objet du débat. Ce sous-ensemble comprend une part importante de JEI (Jeune Entreprises Innovantes) ou Startups.

Il doit rester très clair que si les PME ont une importance stratégique dans la dynamique d’innovation, elles représentent une part marginale du totale des dépenses. La R&D est une activité très concentrée. Le top 2500 des entreprises les plus innovantes au monde représentent 90 % des dépenses en R&D en 2019 et le top 100 plus de 50 %, selon OMPI.

Au final, malgré leur rareté, les PME ont un rôle primordial dans la dynamique d’innovation. Les mécaniques incitatives à l’œuvre rendent les activités d’innovation entre PME et grandes entreprises (GE) complémentaires plus que substituts. Cependant, l’existence de difficultés propres, notamment financières, amoindrissent leur capacité dans ce domaine. En ce sens, la multiplication des programmes d’aide publiques ciblant ces dernières peut être accueilli favorablement.

2) Quelques chiffres sur les PME innovantes en France et en Europe :

Les PME représentent la vaste majorité des entreprises en France en volume. Si l’on exclut les micro -entreprises, elles représentent 96 % des entités enregistrées en France et 36 % des ETP (Équivalents temps plein). Si l’on inclut les micro-entreprises ces chiffres atteignent 99 % de la population globale et 46 % des ETP. Elles ont donc un poids important dans l’économie[3] . Cependant, leur poids dans l’activité de R&D est bien moindre.

Figure 1- Ventilation des dépenses en R&D par type d'entreprises, source : MESRI

Figure 2- Ventilation des sectorielle des dépenses en R&D des entreprises par taille, source : MESRI

Les PME représentent 46 % des emplois totaux mais 19 % des emplois en R&D et 15 % des dépenses[4] . Elles sont donc ici largement minoritaires.

Sur la sous-population des startups en France peu de chiffres existent. En effet, il n’existe pas de définition juridique de cette catégorie d’entreprise et donc pas de statistiques nationales. Cependant, plusieurs publications institutionnelles et privées permettent d’avoir une idée de leur démographie et de leur dynamique pour la France.  Récemment, Philippe Englebert a ses sources dans un livre et dresse un premier tableau du poids économique des startups, de leur dynamique ainsi qu’une représentation de leur financement. C’est sur ce travail de croisement de données que nous fondons principalement nos chiffres ici[5] .

En termes de stock, les startups représentent une part marginale de l’activité des PME. En nombre, EY estimait le nombre de startups à 9 400 en 2017 et Dealroom à 20 000 en 2020. Comparé aux 3,7 millions de PME françaisesleur poids est donc marginal. On estime l’emploi au sein des startups françaises environ à 450 000 personnes dont 300 000 à 400 000 sur le territoire (5 à 6 % de l’emploi au sein des PME). Ces chiffres peuvent donc paraître négligeables comparés à l’attention qu’elles suscitent.

Cependant deux arguments peuvent être opposés à ça. D’une part, les startups ont vocation à grandir, à fusionner ou à disparaitre. Ne sont donc comprises dans ces statistiquesque les entités en devenir. De plus, le poids des startups est lui-même en croissance. En 2018 et 2019 on estime qu’elles représentaient respectivement 10 et 15 % des créations d’emplois dans le privé. Les startups se distinguent aussi sur la croissance de leur chiffre d’affaires. En 2018, les PME SNF (sociétés non-financières) réalisaient une croissance de leur chiffre d’affaires (CA)de 5,3 % ; celle des startups pour la même année était évaluée à 20 %. La part de CA réalisé à l’export était de 4,3 % pour les PME et de 56 % pour JEI. Elles connaissent donc une croissance plus rapide mais sont aussi plus internationalisées.

Afin de soutenir ces entreprises à fort potentiel de croissance, mais néanmoins très risquées, le financement le plus adapté est le venture capital ou capital-risque (VC). Le développement des fonds spécialisés dans ce segment va donc être un élément crucial dans la vitalité du secteur. En France, l’activité de ces fonds a été multipliée par trois depuis 2015 pour atteindre un total de 5,4 milliards d’euros en 2020. L’année 2021 est déjà annoncé comme une année record pour la French Tech avec plus de 5 milliards au premier semestre[6] . Le développement de ces fonds permet donc de soutenir l’activité attendue de ces entités dans l’ensemble. L’an passé, la France représente 23 % des montants levé en Europe au coude à coude avec l’Allemagne (22 %) mais bien derrière le Royaume-Uni qui concentre 54 % des montants investis.

Cette expansion de l’écosystème startups semble solide. En effet, les premiers indicateurs disponibles montrent que l’activité en VC ne s’est pas effondrée lors de la crise Covid. Cela est notable car comme toute activité risquée, le segment en capital est très fortement volatile. En France, le montant investi dans les startups ainsi que le nombre d’opérations sont même en croissance pour 2020 et le premier semestre 2021 selon le baromètre des startups EY (voir chiffre fiche 2). 

Figure 4-  Baisse des financements en capital-rique suite à la crise Covid-19, source : OMPI 2020

Conclusion

Les petites entreprises et startups ont un rôle essentiel dans la dynamique d’innovation, notamment sur le segment des innovations disruptives. Cependant, elles restent minoritaires dans les dépenses de R&D. Leur importance est donc plus qualitative. Elle tient aussi à leur dynamique de croissance et leur contribution à la création d’emplois.

Elles restent cependant plus fragiles. Leur accès au marché financier est notamment plus contraint. De plus, elles se heurtent à certaines barrières dans leur activité d’innovation qui leur sont propres (voir Partie 2). Un soutien public dédié peut être à ce titre justifié.

La croissance de l’activité des fonds en capital-risque et la formation d’un vivier de startups en France semble témoigner d’une politique nationale pertinente. Cependant, le développement de ces segments engendre de nouveaux défis auxquels des réponses devront être apportées.

Bibliographie

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Baumol, William J. The Free-Market Innovation Machine: Analyzing the Growth Miracle of Capitalism. 4. print., and 1. paperback print. Princeton Paperbacks. Princeton, NJ: Princeton Univ. Press, 2004.

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EY. « Baromètre EY du capital risque en France », 2019.

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———. « Prise de participation dans les start-ups françaises : prédation ou développement ? » Document de Travail n°2021/1 - Direction Générale du Trésor, 2021. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2021/02/11/prise-de-participation-dans-les-start-ups-francaises-predation-ou-developpement.

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[1] Ceci est une partie importante de la théorie de Schumpeter qui cependant est plus large et plus nuancée. Les entrepreneurs jouent un rôle et reste une entité essentielle à l’innovation dans sa théorie. Cette ambiguïté de la théorie Schumpetérienne et plus souvent appelé paradoxe de Schumpeter. Un article résumant bien ce point : https://www.cairn.info/revue-innovations-2013-3-page-195.htm

[3] Source : INSEE - https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277836?sommaire=4318291

[4] Chiffre MESRI : https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/T093/la_r_d_dans_les_pme_les_eti_et_les_grandes_entreprises/

[5] Données se basant notamment sur les bulletins Banque de France, baromètre du cabinet EY, rapport de la French Tech ou encore Next 40 de R. Berger.

[6] Baromètre des levées de fonds en France en 2021.

Anna Malessan est une économiste travaillant principalement sur les sujets de politiques publiques. Elle s’intéresse notamment à l’innovation. Anna est diplômée de TSE et de l’Université Paris Dauphine. Aujourd’hui, elle réalise une thèse au sein de TEPP (laboratoire Théorie Evaluation des Politiques Publiques) sur les politiques d’aide à l’innovation privée et travaille au sein d’un cabinet de conseil sur les sujets d’Aides d’Etat et de politiques industrielles européennes.

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