La BCE ne doit pas surréagir à la poussée inflationniste (Billet)


L’inflation atteint des sommets en Europe, entraînant l’attente d’une action forte de la part de la BCE. Mais celle-ci est en partie démunie et ne devrait pas surréagir à la hausse des prix, au risque de casser la reprise.

Une inflation aux causes multiples

La poussée d’inflation observée depuis le printemps 2021 s’explique par plusieurs évolutions, dont les influences respectives sont difficiles à évaluer.
    Une première explication réside dans la flambée des prix de l’énergie. En France, où l’inflation se situe à 2,9 % en janvier 2022, les prix de l’énergie affichaient un bond de 20 %, alors que les hausses de prix de toutes les autres grandes catégories de biens et services restaient inférieures à 2 %. Le fort rebond de la croissance mondiale, comme les tensions géopolitiques (menaces russes sur l’Ukraine, attaques de drones sur les installations pétrolières des Emirats arabes unis) expliquent la flambée du prix de l’énergie.
Une seconde explication résulte de la déformation de la demande adressée à l’économie. Avant la crise sanitaire, la tendance structurelle de l’économie était de s’orienter toujours d’avantage vers les services. Or, la pandémie a conduit à une déformation soudaine de la demande. Ainsi, fin 2021, la consommation de produits électriques et électroniques était supérieure de 8 % à son niveau d’avant crise, alors que celle de services tels que le transport ou l’hébergement-restauration restait fortement déprimée. Cela tient à l’évolution soudaine des modes de vie qui a accéléré le télétravail (donc l’équipement informatique des foyers) mais contraint la consommation de nombreux services. Il en résulte des difficultés d’approvisionnement et des hausses de prix sur les produits les plus demandés (comme les micro-processeurs), alors que le prix des services les moins demandés ne baisse pas.
Enfin, la bonne dynamique de la croissance européenne alimente elle aussi l’inflation. Fin 2021, la zone euro a retrouvé son niveau d’activité d’avant crise, un phénomène de rattrapage qui alimente l’inflation via le rebond de la demande (partiellement en lien avec les deux points précédents) mais aussi par la hausse de l’emploi et des salaires.

Une inflation que la BCE peut difficilement freiner

Sur les trois principales causes de l’inflation, la BCE n’a de prise que sur une seule. Elle ne peut pas brider les prix de l’énergie en apaisant les tensions géopolitiques ou en ralentissant la croissance du reste du monde. Elle n’a pas non plus d’influence sur les choix de consommation des ménages, ceux-ci étant avant tout dictés par les conséquences des mesures de distanciation sociale et des nouvelles habitudes de consommation. Son principal levier d’action est d’agir sur l’activité en zone euro en relevant ses taux d’intérêt directeurs.
Cette stratégie fait penser à celle adoptée par Paul Volcker qui, lorsqu’il dirigeait la politique monétaire américaine au début des années 1980 avait délibérément cassé la croissance pour asphyxier une inflation qui dépassait alors les 10 %. Une telle stratégie serait particulièrement violente aujourd’hui en zone euro puisqu’elle n’impacterait qu’une des trois causes identifiées de l’inflation et, pour avoir des effets tangibles, il faudrait resserrer la politique monétaire au point de déclencher une récession très violente.
Si l’inflation actuelle pose d’incontestables problèmes pour le pouvoir d’achat des ménages, le remède nécessaire pour la freiner risquerait fort de se révéler plus grave que le mal.

Diplômé de l'université Lyon 2 et Paris Dauphine, Sylvain Bersinger est économiste chez Asterès, après une expérience dans le risque-pays chez BNP Paribas et à La finance pour tous. Ses analyses portent principalement sur les pays d'Amérique Latine et d'Afrique. Il s'intéresse à la vulgarisation de la discipline, a écrit plusieurs livres à destination du grand-public, anime une chaîne YouTube et coordonne les ouvrages de BSI Economics.

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