Minute BSI : « Les Banques Centrales sont-elles vaccinées contre le risque d’inflation ? » (Interview)

Aymeric Ortmans, économiste chez BSI Economics et doctorant à l’Université Paris-Saclay répond à 3 questions sur les outils des Banques centrales des pays développés face à la montée de l’inflation.

Les tensions inflationnistes que l’on observe aujourd’hui représentent-elles un enjeu majeur pour les décideurs politiques, et particulièrement les banquiers centraux des pays développés ?

Aymeric Ortmans : Le retour de l’inflation est au cœur des préoccupations. Depuis le début de l’année 2021, la hausse, ou plutôt l’accélération de la hausse du niveau des prix, attire l’attention des banquiers centraux. Aux Etats-Unis, alors qu’il était revenu à des niveaux d’avant-crise au mois de février 2021 (atteignant près de 1,7 % en glissement annuel), le taux d’inflation affichait plus de 7 % en décembre 2021, un niveau jamais atteint depuis février 1982. En zone euro, l’indice des prix à la consommation augmentait de 1,3 % en mars 2021 par rapport au niveau observé un an auparavant, avant d’atteindre 5 % en décembre, du jamais vu depuis la création de la monnaie unique.

Pourtant, malgré des niveaux bien plus élevés que ceux observés fin 2019, au-delà même des cibles respectives de 2 % de la Réserve Fédérale (Fed) et la Banque Centrale Européenne (BCE), les taux d’inflation aux Etats-Unis et en zone euro n’ont pas semblé inquiéter d’avantage les deux institutions, qui n’ont pas réagi immédiatement à l’envolée des prix.

La principale raison de leur attentisme face aux tensions inflationnistes a été principalement liée à la nature même de la hausse des prix. Après s’être félicités d’un retour de l’inflation proche de leur cible, les banquiers centraux se sont interrogés sur le caractère, transitoire ou permanant, de l’accélération de l’inflation au-delà de 2 %. Pour la Fed comme pour la BCE, l’enjeu a vraisemblablement d’abord consisté à appréhender la persistance des tensions inflationnistes, sans prendre le risque de casser la reprise économique par une hausse trop précoce des taux d’intérêt.

Les Banques Centrales semblent disposer de nombreux outils pour lutter contre ces épisodes inflationnistes… Quels sont-ils ?

L’outil de la communication sur l’orientation future de la politique monétaire (forward guidance ) s’est avéré être redoutablement efficace pour les banquiers centraux au cours de la dernière décennie, notamment dans le but d’ancrer les anticipations des agents privés. D’ailleurs, face à l’actuel risque d’inflation élevée, les Banques Centrales ont déjà commencé à communiquer sur l’évolution probable des conditions monétaires à venir.

Par exemple, la Fed a déjà engagé un premier pas vers un resserrement monétaire en ralentissant tout d’abord ses rachats de titres (tapering). Par ailleurs, au vu du caractère persistant de l’inflation, la Fed envisage désormais une remontée des taux directeurs en 2022, le pilotage des taux d’intérêt étant l’outil traditionnellement utilisé par les Banques Centrales pour lutter contre l’inflation. Si aucun calendrier de hausses n’a encore été communiqué, quatre hausses seraient envisagées dès 2022, selon le consensus. La Banque d’Angleterre a pour sa part déjà augmenté les taux dès décembre 2021 (de 15 points de base à 0,25 %).

De son côté, la BCE et la Banque du Japon semblent avoir adopté à ce stade une stratégie radicalement différente, en n’envisageant pas de remontée des taux au cours de l’année 2022 afin de ne pas enrayer la croissance économique, en dépit d’une inflation élevée.

Pensez-vous qu’il soit possible, et surtout souhaitable de prévenir de tels phénomènes à l’avenir ?

Il aurait été possible de prévenir de tels épisodes d’inflation dans un cadre d’analyse bien spécifique, en étant en mesure d’identifier exactement la nature du choc qui en est à l’origine par exemple, ou encore en supposant une bonne connaissance des mécanismes de transmission à l’œuvre dans l’économie. Or, le niveau d’incertitude généré par la crise sanitaire a rendu l’analyse traditionnelle inadaptée pour anticiper le phénomène inflationniste d’aujourd’hui, rendant l’inflation quasi imprédictible, et compliquant ainsi la tâche des autorités monétaires.

Pour cette raison, il me semble qu’il est primordial pour les Banques Centrales de communiquer à la fois sur leur lecture de l’inflation, sur l’horizon de temps fixé et sur leur fonction de réaction, autrement dit leur réponse systématique aux conditions macroéconomiques. Ancrer les anticipations par la communication se fera difficilement sans politique de règles, et donc sans formulation explicite d’un objectif d’inflation sur un horizon de temps précis. Les récentes revues stratégiques de la Fed et de la BCE vont d’ailleurs dans ce sens.

Diplômé de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Aymeric est actuellement doctorant en économie à l’Université Paris-Saclay. Ses recherches portent principalement sur les questions de politique monétaire, et ses liens avec l'incertitude et les fluctuations macroéconomiques

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