Liban : les perspectives restent négatives (Note)

Utilité de l’article : À la suite de deux articles datant d’Avril2020 et de Janvier2021sur la crise au Liban, l’article ci-présent met en évidence la dégradation continue de la situation économique.

Résumé

  • Le Liban est désormais considéré par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture comme pays menacé par la famine.
  • En dépit de la formation d’un nouveau gouvernement en septembre 2021, les perspectives restent peu encourageantes, dans un contexte d’hyperinflation.
  • La crise des carburant paralyse l’ensemble de secteurs, surtout depuis la levée des subventions en août 2021.
  • Si les réserves d’or ont été préservées jusqu’à maintenant, cette stratégie pourrait être poursuivie.

Le Liban a finalement nommé Najib Mikati, l’ex premier ministre, comme nouveau premier ministre le 26 Juillet 2021. Un nouveau gouvernement a été formé le 10 septembre 2021. Ce gouvernement est censé faire face à la multicrise qui frappe le Liban depuis octobre 2019 : hyperinflation, dévaluation de près de 92 % la livre libanaise sur le marché parallèle face à l’USD[1] (cf. graphique ci-dessous), pauvreté aggravée, etc.

En proie à une corruption endémique depuis plusieurs années[2] , la capacité du gouvernement à assurer ses fonctions dans la durée, tout en restaurant la confiance vis-à-vis de la population et de l’international demeure un enjeu de premier plan pour le pays. Sera-t-il capable de gérer cette crise et les fonds/aides qui pourraient reçus des organisations mondiales ?

Le président Michel Aoun a demandé fins septembre 2021 à Lazard Consulting de reprendre les négociations avec le Fonds Monétaire International (FMI) qui dernièrement avait transféré au ministère des finances 1,135 milliard de dollars le 16 septembre, à titre d' « allocation spéciale de droits de tirage ». Ce montant représente la part du Liban pour l'année 2021, et sa valeur est de 860 millions de dollars, en plus des 275 millions de dollars pour l'année 2009.

L’article ci-présent illustre les dernières évolutions de la crise et leurs conséquences, notamment la crise de carburant, l’inflation, l’épuisement des réserves en devises étrangères, et la capacité des déposants à accéder aux montants en devises qu’ils détiennent sur leurs dépôts auprès des banques.

1. Crise de Carburant

Les réserves de change s’assèchent, ce qui a notamment poussé le gouvernement à officiellement annoncer la levée progressive des subventions sur le carburant en juillet 2021. Cette décision a déclenché une vague de panique et la population a afflué vers les stations-service par crainte d'une augmentation massive des prix. Ainsi, les prix des carburants au Liban ont été multipliés par trois en seulement deux mois alors que le pays s’effondre économiquement dans une crise classée par la banque mondiale parmi les pires au monde depuis 1850.

Auparavant, La Banque du Liban soutenait les importations de carburant en fournissant 85 % de la valeur totale du coût d'importation selon le taux de change officiel tandis que les importateurs payaient la différence selon le taux de change en vigueur au marché noir.

La Direction générale du pétrole a récemment signalé que le prix de l'essence à indice d'octane 98 a augmenté de +67 % de 77 500 à 133 200 LBP et celui de l'essence à indice d'octane 95 de 79 700 à 129 000 LBP. Alors que le prix d’une bouteille de gaz domestique a augmenté de +50 % en un an, de 58 500 à 90 400 LBP et celui du gazole (diesel) de +73 % e 58 500 à 101 500 LBP.

Au cours des derniers mois, la capacité de la compagnie nationale d’électricité, l'Électricité du Liban, à fournir de l’électricité à toutes les régions a diminué, ce qui a conduit à une augmentation des heures de rationnement à plus de 22 heures par jour. Les producteurs privés ne sont plus en mesure d'obtenir le carburant nécessaire pour couvrir les heures de coupure de courant, les obligeant à se rationner et à augmenter leurs tarifs de manière significative en raison de l'achat de diesel sur le marché noir.

Naturellement, la crise des carburants a touché tous les secteurs : hôpitaux, boulangeries, denrées alimentaires, etc.  

La Jordanie, l’Egypte, la Syrie et le Liban ont conclu le 8 septembre 2021 un accord pour fournir du gaz naturel égyptien au Liban via la Jordanie et la Syrie. L’approvisionnement en gaz égyptien vers le Liban avait été suspendu depuis 10 ans. Le Liban a besoin de 650 millions de mètres cube de gaz par an et afin de générer 450 mégawatts d’énergie.

En Juillet 2021, selon l’Organisation des Organisations des Aliments et de l’Agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), le Liban a rejoint la liste du Yémen, de la Syrie et de la Somalie en tant que pays où les citoyens sont menacés par l’insécurité alimentaire et la famine. Ceci est le résultat d’un secteur agricole et de l’agroalimentaire extrêmement dépendant des importations, qui ne parvient plus s’approvisionner dans un contexte d’épuisement des réserves de change et d’hyperinflation, elle-même alimentée par la remontée des prix des matières premières dans le monde.

L’inflation persiste au Liban (cf. graphique ci-dessous) et se ressent toujours très fortement lors des achats dans les supermarchés, même des produits de première nécessité. La majorité des Libanais reçoivent leur salaire en monnaie locale, qui a perdu plus de 90 pour cent de sa valeur par rapport au dollar, tandis qu'environ 80 pour cent de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, selon les Nations Unies.

Pour avoir une idée plus concrète qui reflète le quotidien du citoyen libanais, selon le média Al-jazeera, un consommateur libanais au supermarché était capable avec un budget de 10 290 LBP (6,86 USD d’acheter un panier de biens essentiels constitué de poulet, légumes essentielles, oranges, du riz et du lait en 2019. Avec quasiment le même montant, en 2020 son panier se réduit au lait, des tomates et des oranges. Et finalement, en 2021, 15 000 LBP (85 centimes) lui permettent d’acheter uniquement un litre de lait.

 Tableau sur l’évolution du panier du Consommateur Libanais


(source : Supermarchés Libanais, Aljazeera)

2. Réserves de change

Fin de septembre 2021, il restait 18,8 Mds USD de réserves en devises étrangères à la Banque du Liban, soit une baisse de 52 % par rapport à 2019.

Source : BDL, BLOMInvest

Au premier trimestre 2021, le Liban disposait des deuxièmes plus grands réserves d’or dans le monde Arabe après l’Arabie Saoudite, totalisant 286,8 tonnes (43,3 % des réserves de change) selon le World Gold Council ce qui est l’équivalent de 15 Mds USD, et au niveau Mondial, le Liban est classé 20ème. Selon le média An-Nahar, un tiers des réserves d'or libanaises se trouvent à Fort Knox Castle aux États-Unis, tandis que des milliers de lingots d'or sont situés sous terre dans des coffres-forts en acier à la Banque du Liban.

L’aggravation de la crise, surtout après la levée des subventions amènent la question suivante : comment s’appuyer sur ces réserves d’or ? Serait-il possible/utile d’en céder une partie dans la situation actuelle ou faut-il les préserver pour faire face à des situations encore plus extrêmes ? (Sachant que le Liban n’a pas touché à ses réserves d’or depuis le début de la crise)

Quelques points à noter pour répondre à cette question :

  • Tout d’abord, la cession d'une partie de l'or libanais ne vise pas à résoudre la crise mais à la reporter. D’un point de vue comptable, cela n’aurait pas d’utilité, il s’agirait uniquement d’une substitution couteuse d’or par des avois en devises. Une telle opération peut s’avérer utile temporairement pour faire face à une crise de liquidités en devises, en comblant les besoins de financement liés au déficit courant et en fournissant des liquidités en devises étrangères pour importer des marchandises.
  • Comme il n'y a pas de risque de crédit sur l'or, il représente souvent une valeur refuge en période de crise financière, ce qui entraîne la hausse de son prix. Pour un pays en proie à des difficulté financières, disposer d’un stock d’or constitue un rempart ultime pour ne pas voir l’actif de la Banque centrale définitivement s’écrouler.

Il semblerait qu’utiliser ce stock or devrait être uniquement utiliser en ultime et dernier recours et avec précaution, pour ne pas perdre un des derniers atouts à la disposition du pays pour se sauver d’une situation encore plus dégradée.

3. Les dépôts bancaires en devises

Pour rappel, la Banque du Liban avait interdit depuis fin octobre 2020 aux déposants libanais de retirer des sommes (n’importe lesquelles) de leurs dépôts en banques en devises étrangères. Cette décision a été prise sans décret officiel. Pourquoi ? Car il n’y avait plus de dollar sur le marché et plus rien à retirer, ceci résultant du Financial Engineering (cf l’article d’Avril2020 pour plus de détail sur ce système).

En vue de la levée des subventions sur le carburant et dans le but d’atténuer la crise de liquidité, la Banque du Liban a publié en juin 2021 une décision obligeant les banques à commencer à rémunérerles dépôts des déposants en payant 400 USD par mois, en plus de l’équivalent en livres libanaises pour les comptes qui existaient en octobre 2019, comme ils le sont devenus en mars 2021.

Ces 400 USD peuvent être retirés en livres libanaises par mois sur la base du prix fixé sur la plate-forme électronique (Sayrafa), dont 50 % sont accordées en espèces et le reste par carte bancaire, pendant un mois renouvelable. A savoir que le montant total pouvant être retiré de toutes les banques en livres libanaises ne peut pas excéder les 4 800 USD.

Références

Lebanon forms new government in effort to slow nation’s collapse - UPI.com

Le Liban s’enfonce dans l’une des crises mondiales les plus graves, sur fond d’inaction délibérée (banquemondiale.org)

FAO - Nouvelles: Alors que l’insécurité alimentaire aiguë atteint de nouveaux sommets, les secours aux affamés sont bloqués par les balles, les formalités administratives et le manque de financement – la FAO et le PAM tirent la sonnette d’alarme

Subventions au Liban: la Banque centrale renvoie la balle au Parlement - France 24

L'Egypte va approvisionner le Liban en gaz naturel (energies-media.com)

Les réserves en or du Liban estimées à 15 milliards de dollars fin août - L'Orient-Le Jour (lorientlejour.com)



[1] Au 22 octobre, le dollar américain (USD) équivalait à 20 150 LBP sur le marché parallèle selon lirarate, contre un taux de change officiel de 1 500 LBP / USD (un taux appliqué que pour un nombre très restreint d’opérations).

[2] Le pays est classé 149e en 2020 sur 179 au Corruption Perceptions Index de Transparency International, soit parmi les pires pays dans le monde.

Marianne Nabha est consultante économique indépendante; elle collabore à divers projets ponctuels académiques ainsi que professionnels portant essentiellement sur l'économie financière. Diplômée de l'École d'Économie de Toulouse (TSE) et de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), elle est également spécialiste en économie quantitative, économie du développement et politiques publiques. Précédemment, Marianne Nabha a travaillé à Beyrouth-Liban en tant qu'analyste risque de crédit chez Fransabank (Beyrouth-Liban) pour deux ans et en tant que consultante économique chez Eqlim Data & Analytics pour trois ans.

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