Secteur de la culture : état des lieux et focus sur les musiques électroniques (Note)

Résumé :

  • Le secteur de la culture pesait 2,3 % du PIB en 2019 en France. Ce chiffre ne prend pas en compte le lien indirect sur les autres industries (tourisme et luxe) ainsi que les bienfaits sociaux ;
  • Le secteur culturel dans ensemble a été fortement impacté par la crise du Covid-19 et de façon hétérogène entre branches. Au sein de l’UE, le recul du secteur aurait perdu 31 % de son chiffre d’affaire entre 2019 et 2020. En France cette baisse serait autour de -12 % ;
  • Les études ne permettent pas encore de connaitre la perte du nombre d’emplois dans le secteur mais, il est fort probable qu’il soit le plus touché en pourcentage du nombre total d’actifs présents dans le secteur ;
  • Enfin, cette note décrit aussi d’une façon plus structurelle le marché des musiques électroniques qui était en pleine croissance sur les dix dernières années.

Utilité de l’article : Cet article revient sur les estimations de la perte d’activité pour le secteur de la culture. Cette note se focalise aussi sur l’ascension des musiques électroniques en France ces dernières années.

La culture est considérée depuis le début de la crise du Covid-19 comme « non essentiel » ce qui a conduit à faire du secteur le deuxième plus impacté par la crise. Festivals annulés et salles de concerts fermées, la perte de revenus est très importante pour le secteur et les acteurs qui gravitent autour. À travers cette note, nous synthétisons les différentes études existantes sur le secteur en France et dans une moindre mesure en Europe et les premières estimations de l’impact de la crise sur l’activité.  Enfin, nous nous concentrons sur le marché de la musique électronique et son fonctionnement avant la crise.

I – État des lieux du secteur culturel en France et en Europe en pleine crise sanitaire

Selon les estimations du Ministère de la Culture sur la base des chiffres de l’INSEE, le poids économique de la culture représentait 2,3 % du PIB soit 49,9 Mds d’EUR en 2019, une part qui s’avère stable depuis sept ans. Ce chiffre ne prend cependant pas en compte (1) l’impact indirect sur les autres industries comme le tourisme et le luxe et (2) les bienfaits sociaux, anthropologiques, psychologiques, philosophiques qui sont difficilement mesurables[1] . De plus, l’activité en France des différents acteurs de l’économie numérique, dont le contenu est souvent partiellement ou totalement culturel, n’est actuellement pas intégralement mesurée et il est difficile de disposer d’une évaluation de la contribution des services gratuits facilitant la consommation culturelle apportée par ces acteurs du numérique. En termes d’emploi, le secteur comptait 692 900 personnes en 2018 ce qui correspond à 2,6 % de la population active.

Ces dernières années, la culture au sens large du terme inclut dix secteurs : la musique, les arts visuels, le spectacle vivant, le livre, les jeux vidéo, la presse, l’architecture, la publicité, la radio et l’audiovisuel - a été à la pointe de l’économie européenne. Ces dix secteurs représentaient 4,4 % de l’ensemble du PIB de l’Union Européenne en 2019 en terme de chiffre d’affaires et recensaient 7,6 millions d’emplois avec un chiffre d’affaires estimé à 643 Mds d’EUR selon une récente étude du cabinet EY.

En France, l’audiovisuel est la première branche d’activité de la culture (28 %) devant le spectacle vivant (15,4 %) qui a pris une part importante et a dépassé la presse et le livre à la fin de 2019 (graphique 1). Cette progression s’explique notamment par une nette hausse des dépenses des ménages ces dernières décennies pour les activités créatives, artistiques et de spectacle. Toutefois, le poids du spectacle vivant risque de reculer fortement car c’est la branche qui a été la plus impactée (après la projection cinématographique) par les mesures de restrictions qui ont été mises en place dès mars 2020.

Graphique 1 : Poids des branches dans la valeur ajoutée de la culture depuis 2000

Sources : Insee et Ministère de la Culture

Le développement des plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Youtube) a permis au marché de la musique enregistrée de se relever dans son ensemble.Entre 2001 et 2013, les revenus totaux de la branche avaient baissé de presque 40 % (passant de 23,6 Mds d’USD à 14.4 d’USD) notamment en raison du développement des plateformes de téléchargement illégale dit « en pair à pair » (P2P). En 2020, les revenus représentent désormais 21,1 Mds d’USD et le streaming pèse désormais presque 65 % en 2020 du marché au niveau mondial et a même connu une forte croissance en 2020 (+7,4 % par rapport à 2019).

L’arrivée de la crise sanitaire du Covid-19 et les restrictions qui ont été mises en place depuis mars 2020 ont conduit à une fermeture des lieux culturels(musées, salles de concerts) ainsi que l’annulation de plusieurs évènements. De manière globale, la culture a été le deuxième secteur le plus affecté par la crise sanitaire, un peu après l’industrie aéronautique, mais avant le tourisme. Selon l’étude du cabinet EY, en 2020, l’économie culturelle et créative européenne a perdu environ 31 % de son chiffre d’affaires. Par rapport à 2019, le chiffre d'affaires pour le théâtre et le spectacle vivant aurait chuté de 90 % tandis que celui de la musique[2] a baissé de 76 %. Tous les autres sous-secteurs sont affectés, que ce soit les arts visuels, l’architecture ou la presse. Seul les jeux vidéo connaissent une augmentation d’environ 10 % par rapport à 2019.

En France, les estimations du Ministère de la culture montrent que le chiffre d’affaires annuel a baissé de 12 % en 2020 mais cette perte d’activité pourrait encore être revue à la hausse.Les branches les plus touchées (graphique 2) sont celles de la projection cinématographique (-65%) du spectacle vivant (-43 %), de la publicité (-16 %) et de la presse (-14 %). La branche du livre a reculé également (-5 %), malgré un rebond du secteur du livre à partir de l’été 2020. Uniquement la branche jeu vidéo a vu son chiffre d’affaire croitre de plus de 20%.

Graphique 2 : – Évolutions annuelle et trimestrielles des chiffres d’affaires des secteurs culturels marchands en 2020 par rapport à 2019

Sources : INSEE, Ministère de la Culture, BSI Economics

Les études ne permettent pas encore de connaitre la perte du nombre d’emploi pour le secteurmais il est fort probable qu’il soit le plus touché en pourcentage du nombre total d’actifs présents dans le secteur. Les conséquences économiques de la crise seront durables et l’activité retrouvera son niveau pré-crise bien après les autres secteurs car il est très probable que le secteur soit davantage affecté par une hausse des faillites.

De plus, les acteurs des secteurs traditionnels de l’économie sont facilement identifiables par les différents organismes de l’État, ceux de la culture sont plus difficilement reconnaissables. Environ 30 % des actifs du secteur sont indépendants (contre 12 % de l’ensemble de la population active) ce qui rend plus difficile l’accès aux aides qui ont été mises en place par l’État comme le chômage partiel et notamment pour les auto-entrepreneurs qui bénéficient du fonds de solidarité (calculée en % de pertes de chiffre d’affaires), une aide qui peut s’avérer moins généreuse que le chômage partiel. Concernant les intermittents, la mise en place d’une « année blanche » prolongeant l’indemnisation de l’intermittence a visé à atténuer l’impact de la crise sur les revenus des artistes du spectacle vivant et de l’audiovisuel.

Avant la crise, le spectacle vivant prenait de plus en plus de place dans le secteur, le marché des musiques électroniques connaissait un fort succès. Quelques études intéressantes décrivent ce marché peu connu en plein essor.

II- Focus sur les musiques électroniques et les évènements culturels associés en France

La musique électronique qui était considérée comme une contre-culture durant les années 90 et 2000 ou comme un mouvement alternatif (underground), est aujourd’hui devenue un véritable mouvement générationnel. Néanmoins, il subsiste encore une relative méconnaissance du sujet dans les médias et les institutions. Même s’il existe peu de données disponibles sur le sujet, quelques études publiées sur ces cinq dernières années ont pu montrer l’ampleur de la croissance des musiques électroniques parmi les musiques actuelles en France.

En 2016, en France, le marché des musiques électroniques représentait 17 % du marché des musiques actuelles soit 0,42 Md d’EUR sur un total de 2.5 Mds d’EUR en 2016 selon une étude de la SACEM. Le développement des plateformes de streaming leur donnant plus de visibilité ainsi que la multiplication de l’offre d’évènements culturels spécifiques aux musiques électroniques ont contribué à ce que le public y montre un intérêt croissant. Une étude du CNV montre aussi qu’en 2017 la part les musiques électroniques représentaient 10 % des entrées totales parmi toutes les représentations en France (y compris spectacles d’humours, comédies musicales etc.) et le nombre de représentations payantes avaient augmenté de 13 % entre 2016 et 2017.

La grande majorité des revenus issus de la musique électronique en France proviennent des évènements générés par les festivals et les clubs qui augmentent d’année en année.

Les revenus proviennent principalement de l’évènementiel à travers les clubs et les festivals (82 %). Cette forte dépendance du secteur à l’évènementiel a par conséquent fortement impacté le marché et ses acteurs pendant la crise (artistes, bookers, promoteurs, etc). Dans le prolongement des estimations de la SACEM qui a réalisé la première étude détaillée en 2016, le distributeur de billetterie Shotgun a réalisé une étude en 2018 en tentant de compléter cette première initiative grâce à une approche basée sur des variables relatives à l’évènementiel (via les réseaux sociaux et les données de son site) dans la musique électronique.

Le marché évènementiel électronique affichait une croissance explosive avant l’arrivée de la crise sanitaire. Alors qu’en 2014, un peu plus de 2 000 événements étaient organisés au sein de l’hexagone, 8 000 ont pu être recensés en 2017 soit un chiffre qui a quadruplé en 4 ans. D’un point de vue géographique, la région Île-de-France représente depuis 2014 la moitié du secteur évènementiel électro mais une tendance de déconcentration géographique s’est observée ces dernières années avec l’augmentation de l’offre dans plusieurs régions.

En termes de genre, la house et la techno qui étaient considérées comme des courants alternatifs auparavant sont représentent plus de 50 % des genres dans les évènements organisés sur ces dernières années.

La réouverture des lieux culturels qui débutent progressivement (jauges réduites, spectateurs assis) depuis la fin du mois de mai 2021 sur l’ensemble du territoire va permettre au marché des musiques électroniques et au secteur culturel dans son ensemble de rebondir mais le niveau d’activité d’avant crise ne sera pas retrouvé avant plusieurs années en raison des pertes d’emplois et des faillites qui risquent d’augmenter.

Bibliographie

Oxford Economics (2020), “The Economic impact of music in Europe”, novembre (lien)

Pietrzyk N. (2020), Dans quelle mesure la culture contribue-t-elle à la richesse nationale, BSI Economics & Melchior (lien)

Lhermitte M. et al. (2021), “Rebuilding Europe : 2ème Panorama européen des industries culturelles et créatives”, janvier 2021 (lien)

Gombault A. et al. (2020), “Covid-19 : en France, la culture sacrifée ?”, The Conversation, décembre (lien)

SACEM (2017), “Les musiques électroniques en France” (lien)

Shotgun (2018), “Le marché évènementiel des musiques électroniques en France“, mai (lien)

Turner L. (2021),”Le poids économique direct de la culture en 2019”, Collection Culture chiffres, Ministère de la Culture, février (lien)

DEPS Ministère de la Culture (2020), “Analyse de l’impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs culturels” , mai (lien)

Ifpi (2021), “Global music report” (lien)

DEPS Ministère de la Culture (2021), Analyse conjoncturelle du chiffre d’affaire de la culture au 4e Trimestre 2020, mars (lien)

CNV (2018), La Diffusion des spectacles de variétés et de musiques actuelles en 2017, Études statistiques , septembre (lien)

Diplômé du Master Financial Economics de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, de l’Università Cattolica del Sacro Cuore et de Neoma Business School, Théophile a travaillé à la Banque de France comme économiste de marché et comme stratégiste au Crédit Agricole CIB. Ses principaux centres d’intérêt portent sur la politique monétaire, la macroéconomie et les questions européennes.

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