Passage du FCFA à l’ECO : quelles perspectives ? (Note)

Utilité de l’article : Cet article étudie les perspectives qu’offre le nouvel accord monétaire signé entre la France et les pays de l’union monétaire Ouest Africaine. Il traite notamment des politiques conjoncturelles que ce nouvel accord favorise pour les pays de cette zone monétaire, évalue les avantages et les inconvénients qu’implique ce dernier et discute de questions liées aux contraintes de crédit et à la gestion des réserves de change.

Résumé :

  • La monnaie n’est pas un facteur de production et n’est donc pas susceptible de stimuler la croissance économique à long terme.
  • La parité fixe avec l’euro possède des avantages et inconvénients : elle garantit une bonne efficacité des politiques budgétaires, mais rend théoriquement inopérante la politique monétaire, elle favorise les liens économiques entre les pays africains et la zone euro. Elle peut toutefois être problématique en cas d’appréciation de l’euro vis-à-vis des autres monnaies.
  • Passer à un régime de change flexible pour bénéficier pleinement de l’outil monétaire ne garantit pas nécessairement un accroissement des crédits à l’économie, ces derniers étant étroitement liés au niveau de risque perçu par les banques commerciales.
  • La suppression de l’obligation de dépôt des réserves de change implique certes plus de flexibilité pour les pays dans la gestion de ces réserves, mais n’est pas susceptible d’avoir un impact économique quelconque.
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L’actualité récente est caractérisée par la ratification le 10 décembre 2020 à l’assemblée nationale française, d’un accord de coopération monétaire entre la France et les états de l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine). Ce dernier remplace les accords du 4 Décembre 1973 régissant la gestion du FCFA et consacre le passage à l’ECO une toute nouvelle monnaie. En substance, le nom de la monnaie change, l’obligation de centralisation des réserves de change sur le compte d’opérations du trésor public français est supprimée et la France consacre son retrait des instances gouvernementales de la zone monétaire.

Néanmoins, demeurent la parité fixe entre la nouvelle monnaie et l’EURO ainsi que la garantie de convertibilité illimitée assurée par la France. Elle s’accompagne par ailleurs, comme précisé à l’article 8 du nouvel accord de coopération, de la possibilité pour la France de nommer à titre exceptionnel un représentant au comité de politique monétaire de la BCEAO (Banque centrale des états d’Afrique de l’Ouest) avec voix délibérative en cas de situation de crise. On peut légitimement se poser la question de savoir si ce nouvel accord, et plus généralement cette nouvelle monnaie est susceptible de soutenir les économies des pays concernés.

Pour répondre à cette question, il faut commencer par préciserque la monnaie n’est pas un facteur de production. Les modèles économiques standards établissent qu’elle est neutre, c’est-à-dire qu’elle n’est pas susceptible de stimuler la croissance économique à long terme. Cette dernière dépend du progrès technologique et de la croissance des facteurs de production comme le travail ou le capital. Il reste néanmoins qu’en situation de crise économique, l’outil monétaire peut se révéler être un outil efficace sous certaines conditions pour combattre les récessions et stimuler la croissance économique à court terme. Cela dit, la parité fixe avec l’Euro de même que la forte mobilité des capitaux entre la zone ECO et la zone EURO rendent cet outil inopérant.

1) Le nouvel accord tout comme l’ancien favorise l’utilisation de la politique budgétaire pour faire face à la conjoncture économique

1.1) Efficacité de la politique monétaire en régime de change fixe

En effet, comme le suggère le triangle d’incompatibilité de Mundell et Fleming, il n’est pas possible d’appliquer une politique monétaire indépendante en présence d’un régime de change fixe avec parfaite mobilité des capitaux, car cette dernière se révèlerait être inefficace.

Une augmentation de la masse monétaire par exemple se traduirait immédiatement par une pression à la baisse des taux d’intérêt, une importante sortie des capitaux du fait de la mobilité parfaite de ces derniers, une balance globale déficitaire et donc une pression à la baisse du taux de change nominal. Ceci appellerait une contraction monétaire endogène de la part de la banque centrale pour maintenir la parité.

Cette politique serait donc inefficace car pas à même de générer la croissance à court terme espérée. Le nouvel accord de coopération monétaire qui repose toujours sur le principe d’une parité fixe ne permettrait donc pas aux pays de l’UMOA de bénéficier de l’outil monétaire en cas de crise. Toutefois, ces pays pourront toujours s’appuyer sur les politiques budgétaires qui contrairement à la politique monétaire ont une meilleure efficacité en régime de change fixe avec mobilité forte des capitaux.

1.2) Efficacité de la politique budgétaire en régime de change fixe

En effet, dans la théorie économique, une politique budgétaire expansionniste financée, par emprunt par exemple, se traduirait par un effet positif direct sur le PIB du fait de l’augmentation de la demande globale, une hausse ou une pression à la hausse des taux d’intérêt (selon le degré de mobilité des capitaux) du fait de l’augmentation de la demande de fonds prêtablesqui se traduirait théoriquement par une entrée de capitaux et une amélioration de la balance globale.

Cette amélioration de la balance globale impliquerait une pression à la hausse sur le taux de change nominal qui appellerait une expansion monétaire endogène de la part de la banque centrale pour maintenir la parité. Le régime de change fixe entre la zone ECO et la zone EURO conditionne donc les politiques économiques des pays Africains concernés, de même qu’un régime de change flexible par ailleurs les conditionnerait tout autant[1] . Il n’est pas évident de prime abord de déterminer quel régime de change aurait été préférable. Étudier les avantages et inconvénients de ce régime de change fixe de façon plus détaillée peut nous apporter un début de réponse.

2) Le maintien de la parité fixe avec l’EURO implique des avantages et des inconvénients

2.1) Avantages de la parité fixe avec l’EURO

On peut dans un premier temps souligner que la parité fixe entre l’ECO et l’EURO permettra aux exportateurs et importateurs des deux zones, comme le permettait déjà le FCFA, de se prémunir du risque de change, ce qui devrait en principe favoriser les flux financiers et commerciaux. La garantie de convertibilité illimitée accordée par la France qui accompagne cette parité est également un gage significatif pour rassurer les investisseurs quant à la sécurité de leurs investissements et profits face au risque de crise de change.

Deuxièmement, on peut également souligner que l’ancrage à l’Euro va continuer d’assurer une bonne stabilité des prix. En effet, selon le rapport 2019 de la banque de France sur la Zone Franc, le taux d’inflation était en moyenne de 1,6 % comparé à 8,5 % dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Si la stabilité des prix pour des économies qui sont supposées être dans une phase de rattrapage économique était une bonne chose, on pourrait donc établir que l’ancrage à l’Euro est un excellent choix pour la nouvelle monnaie ECO. Il nous semble toutefois que ce n’est pas aussi évident.

2.2) Inconvénients de la parité fixe avec l’EURO

En effet, afin de maintenir l’ancrage vis-à-vis de l’Euro, les autorités monétaires de La zone UMOA comme c’était déjà le cas avec la zone Franc CFA doivent s’assurer que la masse monétaire en circulation dans l’économie ne dépasse pas un certain seuil. Ceci a vocation à réduire les crédits à l’économie. A titre d’illustration, les crédits accordés par le secteur bancaire au secteur privé représentaient 22 % du PIB en 2018 en moyenne selon les données de la banque mondiale dans la zone UMOA contre 13 % en moyenne dans la zone CEMAC[2] . Ce pourcentage s’établissait à 86 % dans la zone EURO et 104% en France. Ceci implique des taux d’intérêt élevés dans les zones UMOA et CEMAC, et de fait limite la capacité des entreprises d’accéderà des sources de financement à des conditions favorables et à investir, le système financier étant dominé par le secteur bancaire dans ces pays.

Au-delà de cet aspect, l’Euro est une monnaie forte et connait souvent des phases d’appréciation face au dollar américain comme c’est le cas sur la dernière année (l’EURO a pris 10 % face au dollar américain entre Janvier et Décembre 2020). Ceci a vocation à affecter la compétitivité-prix à l’exportation des pays de la zone ECO. Le régime de change fixe avec l’EURO possède donc certes des avantages, mais aussi des inconvénients qu’il convient de ne pas négliger. Ceci n’implique toutefois pas que supprimer la parité avec la zone EURO ou adopter un régime de change flexible constitueraient des solutions idoines.

3) Contraintes de crédit et risque

Pour revenir aux contraintes de crédit, il est vrai qu’elles pèsent sur les économies des pays des zones UMOA et CEMAC. Toutefois, à titre de comparaison, des pays comme le Ghana ou le Nigeria disposant de régimes de change plus flexibles n’enregistrent pas nécessairement de meilleurs résultats en termes de crédits à l’économie, le total de crédits accordés par le secteur bancaire au secteur privé s’établissant respectivement à 11,7 % et 10,2 % du PIB dans ces pays en 2018. L’une des principales raisons expliquant ce phénomène, que ce soit dans la nouvelle zone ECO ou dans les pays susmentionnés est le niveau de risque perçu par les banques commerciales. Ces dernières font face à une insuffisance d’informations qu’elles soient financières, économiques ou juridiques sur les emprunteurs qui par ailleurs ne sont que très peu souvent à même de présenter des garanties suffisantes pour emprunter à des taux raisonnables. Ceci contraint donc les banques commerciales qui sont paradoxalement souvent surliquides[3] à limiter les crédits octroyés.

Il n’est donc pas certain qu’adopter un régime de change flexible pour les pays de la zone ECO leur permette de mettre en place une politique monétaire plus volontariste favorisant l’augmentation des crédits à l’économie tant que le niveau de risque perçu par les banques commerciales reste élevé.

De la même manière, la fin de l’obligation de centralisation d’au moins 50 % des réserves de change au trésor public français n’est pas susceptible d’apporter des changements majeurs.

4) Des avoirs de réserve

Une opinion peu ou malinformée a longtemps considéré cette obligation de centralisation des réserves de change comme un problème qui empêchait les économies de la zone Franc de disposer librement de leurs réserves de change pour financer les investissements en infrastructures, les crédits à l’économie et d’autres projets de développement. La réalité est en fait toute autre. La constitution des réserves de change est un mécanisme pour se prémunir face aux chocs extérieurs et au risque de crise de change. La plupart de ces économies étant spécialisées dans l’exportation de matières premières et produits primaires, leur bonne santé est souvent tributaire des cours internationaux. Lorsque les cours du pétrole ou des autres matières premières chutent par exemple, le choc est souvent très rude pour ces économies ce qui réduit les recettes d’exportations, entraîne généralement un épuisement rapide des réserves de change et conduit souvent à des rumeurs de dévaluation.

C’est en l’occurrence ce qui s’est produit dans la zone CEMAC de 2015 à 2016 suite à la baisse des prix du pétrole, les avoirs extérieurs nets (qui incluent les réserves de change) s’étant réduits de moitié sur cette période passant de 5 466 à 2 254 milliards de FCFA pour se stabiliser à ce niveau jusqu’en 2018. La zone UMOA présentait toutefois une meilleure santé, avec des avoirs extérieurs nets qui ont beaucoup moins chuté de 2015 à 2016 passant de 5 480 à 4 565 milliards de CFA, pour s’établir à 6 585 milliards de CFA en 2018. Il reste que les avoirs extérieurs nets représentaient environ 5 mois d’importations au cours de l’année 2018, selon le rapport de politique monétaire de l’UMOA de décembre 2018. Ce chiffre est équivalent à la moyenne pour les pays d’Afrique subsaharienne selon les données de la banque mondiale en 2019 et en accord avec la règle d’or des 3 mois d’importations minimum (pour les réserves de change) généralement appliquée par les banques centrales.

De plus, les avoirs extérieurs ont vocation à être détenus notamment sous forme d’actifs sécurisés qui conservent bien leur valeur avec le temps comme l’or ou les bons de trésor américains, ou sous forme de devises internationales sûres comme le dollar ou l’Euro pour répondre à des enjeux de liquidité, de rendement et de risque.  L’obligation de centralisation d’au moins 50 % des réserves de change de la zone franc sur les comptes du Trésor français pourrait s’apparenter à une détention de bons de trésor du gouvernement français. La suppression de cette obligation de centralisation accordera donc plus de flexibilité quant à la composition des actifs détenus par la banque centrale de la zone UMOA, mais n’a pas vocation à changer fondamentalement le niveau des stocks détenus pour les raisons évoquées plus haut.

Conclusion

En définitive, le passage du FCFA à l’ECO dans la zone UMOA ne modifie pas substantiellement la situation des pays de cette zone. Le maintien de la parité fixe avec l’Euro ne permettra pas de prendre plus de libertés dans la conduite de la politique monétaire. Cette dernière se révélerait de toute façon peu opérante pour stimuler les crédits à l’économie si un régime de change flexible avait été retenu du fait du niveau du risque perçu par les établissements de crédit.

De la même manière, la fin de l’obligation de centralisation des réserves de change même si elle est bienvenue car perçue par beaucoup comme une relique d’un temps révolu, n’a pas vocation à substantiellement modifier la politique de change de ces pays. L’urgence pour les pays des zones UMOA et CEMAC aujourd’hui devrait être la mise en place de réformes structurelles à même d’améliorer le fonctionnement du système financier et permettre qu’un cadre propice à l’accroissement des crédits à l’économie puisse s’établir.

Références

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/06d54ebb-0e82-402f-ac48-cc0206f1c923/files/04af4958-cc6f-462f-864a-937b8dc17645

https://www.bceao.int/sites/default/files/2018-12/Rapport_PM_Decembre_2018.pdf

https://www.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/819174_zf2018_web_signets_avec-couv1.pdf

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/CREG/halshs-00632362


[1] Dans le cadre d’un régime de change flexible, c’est la politique monétaire qui se révèlerait être un outil de politique conjoncturelle efficace, contrairement à la politique budgétaire.

[2] La zone CEMAC est constituée du Cameroun, du Gabon, du Congo, de la Guinée équatoriale, du Tchad et de la Centrafrique alors que la zone UMOA comprends le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.

[3] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/CREG/halshs-00632362

Diplômé d’un master en économie internationale et développement de l’université Paris Dauphine, Arnold NJIKE est actuellement en thèse de doctorat en économie internationale au sein de la même université. Il s’intéresse à des sujets de recherche se rapportant à la fragmentation internationale des processus de production ainsi qu’à des questions relatives au commerce international, notamment de pays en voie de développement. Il suit en ce sens de près l'actualité économique des pays Africains, particulièrement en ce qu'il s'agit des enjeux économiques majeurs de ce continent, présents et à venir.

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