Le cuivre : un métal convoité à forte criticité (Note)

Utilité de l’article : Le cuivre, minerai stratégique utilisé depuis des millénaires, va devenir incontournable dans le cadre de la transition écologique et numérique. La forte croissance de la demande va modifier la cartographie actuelle des producteurs au risque de craindre des pénuries d’approvisionnement pour les industries utilisatrices de la ressource. Cette étude analyse les problématiques auxquelles va faire face ce minerai stratégique.

Résumé :

  • La production de cuivre est très inégalitaire avec le Chili qui arrive nettement en tête parmi les pays producteurs.
  • Les applications du cuivre sont diverses, dans des industries à l’activité cyclique mais aussi des industries à faible variation.
  • La production mondiale est en forte augmentation, notamment en raison de la transition écologique qui nécessite d’importantes quantités de minerai pour certaines technologies.
  • Une demande mondiale qui devrait, de surcroit, augmenter fortement, avec un risque de pénurie de minerai d’ici à 2055.
  • Toutefois, de nouvelles découvertes de ressources pourraient redéfinir la production mondiale.

 

Avec environ 2,1 milliards de tonnes en réserves prouvées, le cuivre est un métal fortement demandé par diverses industries. Si la majorité de la demande provient de la Chine, de nouveaux secteurs économiques tels que la mobilité douce seront amenés à en consommer davantage dans les années à venir. L’intérêt de ce minerai sera donc confirmé par la transition écologique à tel point que certains spécialistes estiment que les ressources pourraient être amenées à manquer d’ici 2055. Toutefois, de nouvelles découvertes sont susceptibles de modifier la configuration actuelle de la production, avec des gisements potentiellement importants en Asie centrale, zone encore très peu prospectée.

1. Une production concentrée dans quelques pays avec une demande qui provient majoritairement de la Chine

Avec une production de 20,4 millions de tonnes en 2018, le cuivre est considéré comme un métal stratégique par bon nombre d’Etats, tant son importance est cruciale pour certaines industries.

L’extraction du minerai est très inégalement répartie sur la surface du globe, avec le Chili qui concentre, à lui-seul, environ 28 % de la production mondial (suivi par le Pérou avec 12 % de la production). La Chine, si elle contrôle une large partie des activités de raffinages du minerai (38,5 % du raffinage mondiale en 2018), arrive à la troisième position en termes d’extraction.

Top 10 Producteurs de Cuivre au monde en 2018 (en milliers de tonnes)

Source : United States Geological Survey

Le Chili, au-delà d’afficher la plus forte production mondiale, a des réserves prouvées estimées à 200 millions de tonnes, soit plus de 30 ans de production au rythme actuel (le Pérou et l’Australie arrive juste après avec 87 millions de tonnes chacun en réserves prouvées). Mais cette production pourrait être affectée dans les années à venir, le minerai de cuivre nécessitant d’importantes quantités d’eau pour être raffiné. Les autorités chiliennes ont annoncé que l’industrie minière se verra limiter ses permis d’extraction d’eau, notamment dans les régions du pays soumises à un fort stress hydrique. Pour pallier cette contrainte, l’industrie prévoit d’utiliser de l’eau de mer pour répondre à la demande croissante, avec une augmentation de 290 % de l’utilisation d’eau de mer prévue entre 2016 et 2028.

Cette adaptation sera primordiale, dans un contexte où le métal rouge représentait, en 2019, 10 % du PIB du pays, 7,8 % de ses recettes fiscales et 9,8 % des emplois nationaux (soit environ 800 000 emplois directs et indirects). Si l’on prend en compte toute la chaîne de valeur du cuivre (c’est-à-dire du cuivre brut extrait d’une mine au cuivre raffiné), elle représente 45 % des exportations du pays.

La bonne santé économique du Chili dépend donc, en partie, de ses exportations de cuivre. La demande de ce minerai est tirée par la consommation des pays émergents, la Chine notamment, qui consomme à elle seule environ 50 % de la production mondiale (contre 22 % en 2008) pour répondre à son besoin énorme en matières premières pour accompagner son essor industriel. Le pays dispose d’une production d’environ 1,6 millions de tonnes en 2019, mais cette quantité reste insuffisante ce qui oblige à importer le différentiel (soit plus de 8 millions de tonnes/an).

Pour enrayer ces importations massives, la Chine mise, depuis plus de 10 ans, sur le recyclage du minerai, pour être moins dépendant des autres pays producteurs. En 2017, la Chine a acheté plus de la moitié des déchets de cuivre au monde mais la part de la Chine dans ces échanges diminue depuis une dizaine d’années, avec notamment l’augmentation des capacités de recyclage des déchets et de traitement de minerai dans le pays. Portées par le développement économique du pays, les importations chinoises de déchets de cuivre ont plus que doublé de 2000 à 2008 pour culminer à 5,6 Mt avant la crise financière globale, mais décroissent régulièrement depuis. En 2018, 2,4 Mt de déchets cuivreux sont arrivées sur le marché chinois, soit une chute de 32 % par rapport à 2017, et environ 1,5 Mt en 2019, soit une baisse de 58 % par rapport à 2017. Les importations chinoises en déchets de cuivre ont également diminué à la suite de l’annonce du gouvernement chinois, en aout 2018, de taxer à hauteur de 25 % les importations de déchets provenant des Etats-Unis. Cette décision s’inscrit dans le contexte de guerre commerciale entre les deux pays.

Pour répondre à la demande croissante de cuivre dans le monde, la production a augmenté de plus de 20 % en 10 ans.

Production mondiale de cuivre entre 2008 et 2019 (en milliers de tonnes)

Source : United States Geological Survey

Toutefois, les déterminants de la demande de cuivre seront amenés à être modifiés dans les années à venir, les besoins ne s’expliquant plus uniquement par un essor industriel massif mais également par la transition écologique, qui nécessitera d’importantes quantités de cuivre, notamment pour le secteur des transports.

2. Un minerai qui va prendre de l’importance avec la transition écologique

A ce jour, 29 % de la consommation mondiale de cuivre provient du secteur « biens de consommations » (appareils électroménagers, instruments de climatisation et de réfrigération, électronique industrielle et commerciale, et informatique). En deuxième position arrive le secteur de la construction (avec 25 % de la consommation), qui est surtout dépendant du marché chinois, le plus vaste au monde.

Consommation de cuivre par industries (en 2015)

Sources : International Wrought Copper Council et International Copper Association

Il est possible également que les futurs déterminants de la demande soient géographiques, avec une baisse de la demande en Chine, notamment à cause du ralentissement de sa croissance économique ces dix dernières années. En 2019, 51 % du cuivre utilisé l’était par la Chine, suivi par le reste de l’Asie (19 %), l’Europe (17 %, avec l’Allemagne en tête), le continent américain (12 %) et l’Afrique et Océanie (1 %). La forte croissance économique du continent africain et de l’Asie du Sud-Est devrait modifier la configuration actuelle.

Dans le cadre de la transition écologique, le secteur des transports nécessitera de plus importantes quantités de cuivre, notamment avec la mobilité électrique. En effet, il faut environ 80 kg de cuivre pour un véhicule électrique à batterie[1] contre environ 23 kg pour un véhicule thermique standard. De fait, le cabinet britannique spécialisé en conseil dans le secteur des matières premières, Wood Mackenzie, prévoit que la demande en cuivre pour les transports augmente de 7,5 millions de tonnes d’ici à 2040.

Il est difficile d’estimer avec précisions les besoins en cuivre d’ici à 2050 dans chaque secteur. Toutefois, l’Institut Français du Pétrole Energies Nouvelles (IFPEN) et l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) ont lancé, conjointement, le projet GENERATE en 2019, visant à estimer les besoins à venir en cuivre en fonction de deux scénarios : un réchauffement climatique à 2°C et un autre scénario avec un réchauffement à 4°C. Les conclusions sont claires : les deux scénarios nécessiteront de découvrir de nouveaux gisements afin de répondre à une demande en forte hausse, principalement causée par le secteur des transports. Un réchauffement de 2°C supposerait de multiplier les réserves mondiales connues de 2017 par 2,55 et par 2,2 pour un réchauffement à 4°C[2] . Cela supposera de réaliser un effort important dans la prospection pour identifier de nouvelles ressources, faute de quoi la ressource sera amenée à manquer d’ici 2055.

A ce jour, 44 % du budget mondial de prospection se situe en Amérique du Sud, suivi par l’Afrique (12 %), les Etats-Unis (10 %), l’Australie (9 %), les pays d’Asie du Sud-Est/Pacifique (5 %) puis le Canada (4 %). Cette prospection active reste focalisée sur des pays disposant déjà d’importantes réserves et qui souhaitent les valoriser davantage. Pour répondre à la forte demande provoquée par le réchauffement climatique, il sera nécessaire d’orienter les investissements vers de nouvelles régions, notamment l’Asie centrale,qui reste une région peu explorée.

3. Une prospection qui va s’accentuer face à la pression sur la ressource conjuguée à une valorisation des déchets

L’United States Geological Survey porte à 3,5 milliards de tonnes les réserves potentielles de cuivre dans le monde (en comptant les ressources terrestres et maritimes techniquement et économiquement exploitables). L’Asie Centrale détiendrait 14 % de ses ressources, avec le Kazakhstan comptant pour environ 5 % à lui seul (le pays a produit environ 603 000 tonnes en 2018). Un projet minier est actuellement en cours de développement en Afghanistan, pour un démarrage prévu courant 2022, avec des réserves estimées à 11 000 tonnes.

Outre l’Asie Centrale, deux pays d’Amérique du Sud et centrale comptent développer leur industrie extractive :

  • La Colombie, dont les quantités précisément exploitables sont encore inconnues, qui souhaite valoriser ses ressources et augmenter sa petite production actuelle de 10 kT par an.
  • Le Panama qui devrait produire 375 000 tonnes d’ici à 2023, contre une production actuelle d’environ 175 000 tonnes. La production représentera, à terme, 4 % du PIB du pays.

Il est difficile de recenser précisément tous les pays ayant mis en place des politiques minières visant à valoriser le minerai de cuivre. Une solution alternative consiste à miser sur le recyclage de la ressource, qui possède la propriété d’être recyclable à l’infini sans perte de performance ni de propriétés.

Le cuivre recyclé répond à 33 % de la demande mondiale, avec environ 9,7 millions de tonnes en 2018. Les Etats-Unis sont le premier producteur et exportateur des déchets de cuivre dans le monde, avec 1 million de tonnes exportées en 2017. La principale destination de ses exportations est la Chine, qui englouti à elle-seule, 72 % des exportations américaines. Le reste est expédié principalement au Canada, en Allemagne et en Corée du Sud.

Exportations américaines de déchets de cuivre (en kT)

Sources : US International Trade Commission et Rapport du BRGM Cuivre 2019

Avec un taux de récupération actuel du cuivre de 60 % en Chine, les exportations américaines devraient être moins dirigées vers la Chine dans les 10 prochaines années.

Il est fort probable que les pays industrialisés développent le recyclage du minerai de cuivre, afin d’être moins dépendant des importations. La Chine a opté pour des incitations fiscales, comme une baisse de la TVA, pour les entreprises utilisant du cuivre recyclé. A terme, l’amélioration des technologies de recyclage, les politiques publiques mises en place pour inciter à l’économie circulaire et la forte demande en cuivredevraient permettre de structurer le marché du recyclage.

Conclusion

La demande de cuivre va subir une nette hausse, indépendante des différents scénarios prévus concernant le réchauffement climatique. Le changement des déterminants de la demande aura un impact profond sur le futur marché du minerai. Les nouvelles mobilités propres et électriques consommeront davantage de cuivre, ce qui nécessitera certainement d’organiser le marché du recyclage, pour répondre à la hausse de la demande. Les Etats-Unis possèdent une forte capacité d’action, comme premier pays producteur de cuivre recyclé. La Chine développe activement son marché intérieur, dans un contexte de guerre commerciale avec les Etats-Unis. En effet, les nouvelles découvertes de gisements ne seront peut-être pas suffisantes, la ressource pouvant être amenée à manquer d’ici 2055.

Bibliographie

Bureau des Ressources Géologiques et Minéralogiques (BRGM), Rapport Final, Le Cuivre : revue de l’offre mondiale en 2019 ; http://infoterre.brgm.fr/rapports//RP-69037-FR.pdf

Minéral Info, Le commerce mondial des déchets de cuivre et d’aluminium a été transformé par les mesures environnementales chinoises et les tensions commerciales sino-américaines : http://www.mineralinfo.fr/ecomine/commerce-mondial-dechets-cuivre-daluminium-ete-transforme-mesures-environnementales

Les Yeux du Monde, Le Cuivre  nouvel or du Pérou : https://les-yeux-du-monde.fr/actualite/amerique/32341-le-cuivre-nouvel-or-du-perou

Invest in Wallonia, le Chili pays clefs pour les minerais stratégiques : https://www.awex-export.be/fr/medias/le-chili-pays-cle-pour-les-minerais-strategiques#_ftn1

The Conversation, Cuivre : quel avenir pour ce métal essentiel à la transition énergétique ? : https://theconversation.com/cuivre-quel-avenir-pour-ce-metal-essentiel-a-la-transition-energetique-119500

La Tribune des Métaux, Non-Ferreux, la Chine se relève, le cuivre s’envole : https://www.tribune-des-metaux.fr/non-ferreux-la-chine-se-releve-le-cuivre-s-envole.html

COMES, Les déterminants des prix des métaux, exemple du cuivre et du vanadium: http://www.mineralinfo.fr/sites/default/files/upload/4_brgm-fondamentauxcu_v_finale_20190529.pdf

United States Geological Survey, Copper Statistics and Information : https://www.usgs.gov/centers/nmic/copper-statistics-and-information


[1] L’entreprise Seat rapporte que la fabrication d’un véhicule électrique demande en moyenne 40 kg de cuivre pour la batterie, 10 kg pour le moteur, 20 kg pour le câblage basse tension, 5 kg pour le câblage haute tension et plus de 5 kg pour le reste des pièces.

[2] Un réchauffement de 4°C nécessiterait moins de ressources en cuivre en raison d’une adaptation plus drastique des moyens de transports.

Diplômé de l'Université Paris Dauphine et de la McGill University, Olivier Pasquier est analyste dans le secteur de l'énergie après une expérience de deux ans à la Direction Générale du Trésor. Ses principaux centres d'intérêts portent sur les matières premières (hydrocarbures et énergie, ressources minérales non énergétiques), l'industrie lourde, les pays du Golfe, les conséquences des guerres civiles sur l'economie et l'Histoire de l'économie.

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