La Minute BSI Economics : « Les banques centrales ont utilisé pleinement leurs marges monétaires durant la crise » (Interview)

Jean Dalbard, économiste à l'Agence France Trésor et chez BSI Economics, répond à 3 questions sur la politique monétaire pendant la crise du COVID-19.

BSI Economics - Pouvons-nous attendre un regain d’inflation après la crise du coronavirus ?

Jean Dalbard - Dans le monde post-crise sanitaire, deux visions s’opposent sur les perspectives d’inflation ; pour certains, les grands plans de relance budgétaires et l’important soutien monétaire de la part des grandes banques centrales, de même que l’évolution de certaines tendances structurelles, comme un raccourcissement potentiel des chaînes de valeur mondiales pourraient avoir, à moyen terme, un effet inflationniste ; pour d’autres, l’impact de la crise sur la demande (hausse du chômage, baisse du cours des matières premières, désendettement des ménages et des entreprises) serait tellement profond et durable que l’inflation ne saurait être un risque sérieux avant plusieurs années. Alors que les mesures ambitieuses prises par les autorités budgétaires ou monétaires sont parfaitement justifiées et adaptées face à l’ampleur du choc auquel nos économies sont confrontées, il est surement un peu tôt pour avoir un avis définitif sur ce que sera l’inflation après la crise sanitaire. Dans ce contexte, les premières indications fournies par le marché ou par les banques centrales quant à l’orientation de moyen terme de l’inflation laissent penser que c’est bien le risque de (très) faible inflation qui est à craindre. En Europe par exemple, le swap d’inflation à 10 ans tourne par exemple autour de 0,85% tandis que le swap d’inflation à 5 ans dans 5 ans, historiquement observé par la BCE, évolue à des niveaux légèrement supérieurs à 1%, loin de l’objectif de l’Eurosystème (i.e. un niveau « proche mais inférieur de 2% à moyen terme»). Ces indicateurs, et d’autres, laissent penser que les participants de marché anticipent plutôt une inflation très modérée à moyen terme, les facteurs de demande prenant le pas sur les facteurs d’offre, alors que les analyses sur la croissance de la base monétaire comme d’un facteur de risque pour la stabilité des prix ne semblent toujours pas trouver d’échos dans le marché.

Une normalisation des taux est-elle envisageable après la crise économique ?

Les banques centrales ont utilisé pleinement leurs marges monétaires durant la crise ; en réduisant de manière conséquente leurs taux directeurs, en relançant un QE et en mettant en place des facilités dédiées aux US ou en s’appuyant sur un panachage de mesures ambitieuses en zone euro (opérations de refinancement ciblées, programmes d’intervention, évolution du cadre de collatéral). De plus, le recours à la politique de taux d’intérêt négatifs (NIRP), bien que parfois vivement critiqué, se maintient ou s’étend comme en témoignent les anticipations de taux forwards au UK, aux US ou en Nouvelle-Zélande. Couplée à des opérations de refinancement agressives comme les TLTRO 3 qui introduisent un quasi-taux directeur à -1%, c’est à dire un système de taux directeur dual, cette politique de taux d’intérêt négatif renforce l’assouplissement monétaire face à la pandémie et ancre les taux à des niveaux bas.

Ces mesures contribuent ainsi à maintenir l’environnement de taux bas et à limiter les risques de pentification des courbes de taux en comprimant les deux composantes des taux d’intérêt de long terme (les anticipations de taux court et la prime de terme). L’impact durable de la crise d’une part, et l’extension de facto de la forward guidance des banques centrales d’autre part devraient ainsi maintenir cette pression baissière sur les taux pendant une période longue. Plus globalement, cette crainte de normalisation de la politique monétaire ou de hausse des taux d’intérêt nécessite en réalité de s’interroger sur notre compréhension de la normalité en matière de taux. La baisse historique et continue du taux d’intérêt neutre mondial (« r star ») pourrait ainsi être amplifiée par la crise sanitaire comme le montrent les travaux de Jorda et al. (2020) qui prévoient une baisse potentielle de 120 pb de ce taux neutre post-pandémie. A minima ce taux neutre mondial pourrait rester dans une fourchette très basse par rapport aux anticipations d’avant crise. En somme, la normalisation des taux semble un risque difficilement convaincant à l’heure actuelle.

Les mesures de réduction des taux d'intérêt américain face à la crise ont-elles été efficaces ?

La Réserve Fédérale a de nouveau réagi de manière très rapide et très convaincante face à la crise financière liée à la crise sanitaire. Elle a en effet mobilisé un ensemble de mesures particulièrement pertinentes : une baisse très importante de ses taux directeurs à 0%, une relance de son programme de quantitative easing (QE) entrainant une augmentation du bilan de la Fed à des niveaux supérieurs à 7 000 Mds USD et en mettant en place différentes facilités ciblées dans le cadre de ses pouvoirs extraordinaires en temps de crise (article 13 section 3 de ses statuts). L’ensemble de ces mesures répond de manière adéquate aux différentes problématiques auxquelles la Fed était confrontée.

De prime abord, l’objectif de la Réserve Fédérale était de maintenir les conditions financières suffisamment accommodantes afin de ne pas pénaliser le financement de l’économie américaine. La baisse des taux directeurs et la mise en place de lignes de swaps de devises avec d’autres banques centrales ont soutenu les conditions financières et limité les risques de financement en dollar. La relance du QE répondait quant à elle à l’objectif de limiter la volatilité extrême observée sur le marché des US Treasuries durant le pic de la crise. La dette d’Etat américaine constitue en effet un actif sûr par excellence, dont la liquidité permet aux investisseurs en recherche de cash – par exemple pour financer un appel de marge - de liquider facilement leurs positions afin de matérialiser ce besoin. La nature de « quasi-monnaie » de la dette US a donc joué un rôle pro-cyclique certain auquel la relance du QE a parfaitement répondu, limitant la volatilité via des rachats quotidiens parfois supérieurs à 70 Mds USD. Enfin, les différentes facilités (à destination des fonds monétaires, du marché de la dette d’entreprise, des teneurs de marché, etc.) ont permis de limiter les défaillances de certains segments de marché, illustrant la complexification des outils de politique monétaire ainsi que leurs relations avec les politiques macroprudentielles. Partant, elles facilitent le bon fonctionnement du marché et ainsi le maintien de taux à des niveaux bas. En somme, la réaction de la Réserve fédérale a été déterminante pour réduire la volatilité et les taux d’intérêt durant la crise, répondant de manière à la fois massive et précise aux contingences de marché.

Diplômé de Sciences Po et de ESCP Europe, Jean Dalbard travaille actuellement à l’Agence France Trésor. Auparavant, il occupait des fonctions à la Banque de France, au sein de la Direction de la mise en oeuvre de la politique monétaire. Il est également maître de conférences en Politiques économiques à Sciences Po. Ses centres d’intérêts portent principalement sur la politique monétaire et les marchés financiers.

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