Opinions des Français sur les politiques climatiques (Policy Brief)

Utilité : Dans le cadre de travaux académiques, une enquête représentative a été réalisée par l’auteur de cette note et par Thomas Douenne pour évaluer les préférences en matière de politiques climatiques (3 000 français interrogés entre février et mars 2019). L’objectif est de contribuer à l’intelligence collective de la convention citoyenne sur les questions climatiques et environnementales.

Résumé :

  • Selon une récente enquête, les Français manquent de connaissances sur le changement climatique, mais sont malgré tout inquiets de ses conséquences ;
  • Ils seraient prêts à adopter un mode de vie écologique, mais à condition que l’effort soit équitablement partagé ;
  • Ils rejettent massivement une taxe carbone avec dividende, qui serait pourtant progressive. Le rejet s’explique par une méfiance quant aux propriétés de la mesure ;
  • Ils soutiennent d’autres politiques climatiques, tels que des investissements verts.

Thomas Douenne et moi-même avons réalisé une enquête représentative en février–mars 2019 sur 3 000 Françaises et Français pour comprendre leurs préférences en matière de politiques climatiques. L’échantillon a été formé par un institut de sondage, et la représentativité assurée par la méthode des quotas (selon six variables socio-démographiques). Dans cet article, les principaux résultats, concernant les attitudes envers le changement climatique, la taxation du carbone, et les autres politiques climatiques, sont exposés et commentés.

Les Français inquiets du changement climatique et prêts à faire des efforts

Tout d’abord, selon cette enquête la population française est largement consciente du changement climatique, et inquiète de ses conséquences : seules 11 % pensent que les humains « pourraient vivre avec » (Figure 1). Et ce, bienque la plupart des répondants ignoredes faits scientifiques basiques tels que l’importance des émissions engendrées par la consommation de viande, ou le fait qu’il soit nécessaire de diviser les émissions de gaz à effet de serre par 5, a minima, d’ici 2050 pour espérer contenir le réchauffement climatique à +2°C en 2100. Les individus les plus informés sur le changement climatique sont plus inquiets que les autres quant à ses effets, et soutiennent davantage de politiques climatiques. Cette observation justifie les propositions de la convention citoyenne consistant notamment à lancer une campagne d’information massive et durable afin que l’ensemble de la population acquière une compréhension satisfaisante des problèmes sociétaux et des solutions possibles.

Notre enquête révèle que deux tiers des Françaises et des Français seraient prêts à changer de mode de vie, en mangeant peu de viande rouge et n’utilisant presque plus de carburants (fossiles), à la condition cependant que l’effort soit commun et partagé équitablement. Cette condition n’était pas vérifiée par la taxe sur les combustibles instaurée par le gouvernement (et gelée à la suite des protestations des Gilets jaunes), notamment car elle ne prévoyait pas de compenser les ménages pauvres contre la hausse des prix.

La taxation du carbone est massivement rejetée et des politiques alternatives sont appréciées

Or, même sans mesures de justice sociale plus générale " que la convention pourrait proposer ", la taxe carbone elle-même peutêtre conçue de façon à avantager les plus modestes. Ce que proposent plus de 3000 économistes, dont 27 « prix Nobel », revient à instaurer une « taxe avec dividende », à savoir une taxe carbone dont les recettes seraient redistribuées directement à la population. Le Conseil d’Analyse Économique propose ainsi de verser un dividende plus élevé aux ménages les plus modestes, et de ne pas en verser aux ménages les plus riches, de sorte que les 10 % les plus pauvres gagneraient typiquement 200 €/an, et qu’il n’y aurait que 14 %  de perdants (les plus gros émetteurs) parmi la moitié des plus modestes (Figure 2).

Nous avons proposé aux répondants une série de taxes avec dividende, dont le dividende serait reversé uniformément à chaque contribuable, ou seulement aux plus modestes. Dans l’ensemble des cas, autour de 70 % des répondants rejette la taxe avec dividende que nous leur avons proposée, et moins de 20 % l’approuvent. Par ailleurs, nous observons une approbation systématique de la taxe avec dividende parmi les personnes qui pensent gagner en pouvoir d’achat grâce à une telle mesure, qui pensent qu’elle permet de lutter contre le changement climatique et de réduire la pollution, et qu’elle avantage les plus modestes. Croire en une seule de ces trois propriétés (i.e. intérêt personnel, efficacité environnementale et progressivité) suffit à faire grimper le taux d’approbation des sondés autour de 30 %. Ainsi, le rejet s’explique par une grande méfiance quant aux effets d’une taxe avec dividende. Par exemple, bien que 61 % des gens gagneraient en pouvoir d’achat à la suite d’une taxe avec dividende uniforme, seuls 14 % estiment que ce serait le cas pour leur propre ménage. Afin de lutter contre les préjugés négatifs à l’encontre de la taxe avec dividende, le Réseau Action Climat a par exemple mis en ligne un simulateur pour estimer l’impact qu’une telle taxe aurait sur le pouvoir d’achat.

Malgré ces efforts, il semble illusoire de compter sur le fait qu’une taxe carbone soit acceptée dans le court terme, comme le montrent les travaux de la convention citoyenne pour le climat. Par ailleurs, une taxe d’un montant modéré ne peut suffire à enclencher seule la transition écologique : avec une hausse de la taxe sur les combustibles de 50 € par tonne de CO2 (correspondant une hausse du prix de l’essence de 11 centimes par litre), les émissions seraient réduites uniquement de 1 ou 2 %. Pour atteindre l’objectif de 40 % de réduction d’ici 2030, on pourrait augmenter progressivement cette taxe jusqu’à un niveau bien plus élevé. La prévisionde la trajectoire haussière permettrait dès lors aux individus d’adapter leur équipement en anticipation de la taxe (lors du renouvellement de leur voiture ou chaudière par exemple), sans que cela affecte leur pouvoir d’achat de manière trop importante.

Une panoplie d’autres mesures serait sans doute requise, et notamment pour offrir des alternatives à la voiture thermique individuelle et au chauffage au fioul ou au gaz naturel. Or, les répondants plébiscitent ce genre de mesures (cf. Figures 3 et 4). Ainsi, des réponses populaires aux problèmes climatiques peuvent être trouvées dans des normes plus strictes sur les nouveaux équipements, une taxation du kérosène, ou des mesures d’investissement dans les transports en commun et l’isolation des bâtiments.

Conclusion

Pour résumer, les Français n’ayant pas confiance dans les propriétés distributives et environnementales d’une taxe carbone avec dividende, qui serait pourtant progressive et effective pour réduire les émissions de CO2, la taxation du carbone est actuellement rejetée par la population. En revanche, certaines politiques climatiques alternatives sont largement acceptées, et notamment celles qui offrent des alternatives à la consommation d’hydrocarbures.

Normalien, doctorant à l'école d'économie de Paris, Adrien Fabre travaille sur la transition énergétique, les préférences politiques des Français, les processus de décision démocratiques, et surtout sur le changement climatique. Ses travaux sont disponibles sur https://sites.google.com/view/adrien-fabre .

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