Insuffisance des financements afin d’atteindre les Objectifs du Développement Durable (Note)

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Utilité de l’article : Ce papier montre les dernières évolutions en matière de développement à la suite des engagements ambitieux de la communauté internationale en matière de climat et de développement en 2015. Cette analyse apporte un panorama de l’état actuel des financements publics en la matière et démontre qu’en l’absence d’une amélioration de la politique internationale, les ODD ne sauraient être atteints.

Résumé :

  • Depuis les engagements internationaux de 2015 des Accords de Paris et l’adoption de l’Agenda 2030 afin d’atteindre les Objectifs du Développement Durable (ODD), l’Aide Publique au Développement (APD) mondiale baisse légèrement ;
  • En outre, en proportion, l’APD se dirige de moins en moins vers les pays et les secteurs qui en ont le plus besoin, à savoir les Pays les Moins Avancés (PMA) et les secteurs non productifs tels que l’éducation et la santé ;
  • Ainsi, un manque de financement est constaté afin de tenir les engagements de 2015, d’autant plus que le contexte politique s’est dégradé avec l’émergence de nombreuses suspicions à l’égard de l’APD.

Selon la définition du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), on entend par « aide publique au développement » (APD) l’aide fournie par les États dans le but de promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement. Les chiffres laissent percevoir une décrue entamée depuis 2016. Pourtant, en 2015, deux accords internationaux avaient vu le jour en matière de développement : les Accords de Paris et l’adoption de l’Agenda 2030. Leurs objectifs se montraient ambitieux et appelaient à une hausse des financements, de plus de 2000 milliard d’USD par an, notamment dans la transition énergétique des pays en développement ainsi que pour le développement des pays les plus pauvres.

Pour autant, les tendances des dernières années traduisent l’insuffisance des financements afin d’atteindre les Objectifs du Développement Durable (ODD) de l’Agenda 2030, dans un contexte international de moins en moins favorable à l’APD.

1) Tendances mondiales : l’APD baisse depuis 2016, et se dirige de moins en moins vers les pays qui en ont le plus besoin et dans les secteurs prioritaires au développement

1.A) Une baisse de l’APD mondiale depuis 2016 en raison d’une baisse de l’accueil des réfugiés

Les chiffres de l’OCDE fournis pour 2018 ont confirmé la baisse de l’APD mondiale depuis 2016, bien que celle-ci reste autour de ses plus hauts historiques. L’APD mondiale nette est passée d’147 Mds USD en 2016 à 143 Mds USD en 2018. Ce repli s’explique principalement par une diminution de l’aide affectée à l’accueil des réfugiés, du fait du reflux du nombre d’arrivées, ainsi que par la stagnation de l’APD des autres secteurs.

Le graphique 1 montre ainsi qu’hors frais d’accueil des réfugiés, l’APD stagne. Il est à noter qu’une légère partie de cette baisse peut aussi s’expliquer par la réforme de la comptabilisation des prêts d’APD en équivalent-don qui revient à comptabiliser uniquement la bonification ou concessionnalité des prêts l’année de son octroi. Afin d’être éligible à l’APD, la concessionnalité d’un prêt augmente avec la pauvreté du pays récipiendaire : un prêt aux PMA n’est éligible uniquement s’il est concessionnel à plus de 45%. Pourtant, de manière plus précise, l’analyse des données montre que ce sont les pays émergents qui ont le plus bénéficié de l’APD ces dernières années.

Graphique 1- Evolution de l'Aide Publique au Développement mondiale depuis 2010

1.B) Les pays les moins avancés, encore trop peu récipiendaires de l’APD

L’OCDE caractérise les pays en développement selon une liste redéfinie tous les trois ans en fonction de la richesse des habitants de ce pays, mesurée par leur RNB par habitant[1] . Il existe alors 4 classes de pays en développement : les pays les moins avancés, ou PMA, qui regroupent les pays les plus pauvres de la planète; les pays à faible revenu, ou PFR, qui regroupent les pays comme la Corée du Nord qui ne veulent pas être assimilés à des PMA ; et les pays à revenu intermédiaire divisés en deux tranches : inférieure pour les PRITI (pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure, avec un RNB entre 1 046 USD et 4 125 USD par habitant), et  à tranche supérieure pour les PRITS (RNB par habitant supérieur à 4 125 USD) qui représentent les grands émergents.

Les PMA sont donc les pays qui ont le plus besoin de ces financements, notamment en Afrique subsaharienne. Pourtant selon les données de l’OCDE, l’APD bilatérale des donneurs du CAD dirigé vers ces pays qui en ont le plus besoin est passé de 27 % à 25 %, alors que les financements vers pays à revenu intermédiaire a lui dépassé les 30 %. Les conditions d’accès à l’APD pour les PMA sont en effet difficiles : il existe d’abord la doctrine Lagarde selon laquelle il convient de ne pas prêter aux pays déjà surendettés. Ensuite, s’agissant toujours des prêts, la concessionalité doit être supérieure à 45 % afin d’être éligible : les PMA sont par conséquent principalement récipiendaires de dons ou de l’aide multilatérale. Les pays à revenu intermédiaire reçoivent en corollaire les grands prêts des agences de développement.

Tableau 1- Répartition géographique de l’APD mondiale en fonction du canal (bilatéral ou multilatéral) et du type de pays par catégorie de revenu

1.C) Une APD mondiale dirigée en premier pour les secteurs productifs qu’aux secteurs développementaux

D’un point de vue sectoriel, l’APD mondiale laisse peu de place aux secteurs les plus développementaux et sociaux, à savoir la santé, la sécurité alimentaire et l’éducation. Selon les données de l’OCDE, le premier secteur d’APD demeure celui qui se consacre à la production et à la croissance, qui représente entre 12 % et 16 % en fonction du canal d’acheminement de l’aide (respectivement multilatéral et bilatéral).

L’éducation et la santé, ensemble, représentaient en 2017 11 % de l’action des organisations internationales de développement et 19 % de celle des actions bilatérales. En parallèle, les actions touchant à l’environnement et à l’eau ne représentaient uniquement 3 % et 7 % des actions multilatérales et bilatérales respectivement, soit une stagnation de ces secteurs.

Dans ce cadre, la question de l’atteinte des ODD se pose de plus en plus. Notamment, le Secrétaire Général de l’OCDE Angel Gurria a énoncé que « Les pays du CAD ne tiennent pas leur engagement en faveur d’une augmentation du financement du développement pris en 2015, ce qui augure mal de notre capacité à concrétiser les Objectifs de développement durable à l’horizon 2030. »

Tableau 2- Répartition sectorielle de l’APD mondiale en fonction du canal (bilatéral ou multilatéral)

2) Vers un manque de financement pour tenir les engagements internationaux de l’Agenda 2030 et des Objectifs du Développement Durable, et de manière plus générale les Accords de Paris, dans un contexte politique fragile

2.A) Les engagements internationaux de 2015 marquent un tournant pour le développement durable

L’Agenda 2030 a été adopté le 25 septembre 2015 par les chefs d’État et de Gouvernement réunis lors du Sommet spécial sur le développement durable à l’ONU. L’Agenda 2030 fixe 17 objectifs de développement durable (ODD). Les ODD présentent une vision transversale du développement durable : d’abord ils associent à la lutte contre la pauvreté la préservation de la planète face aux dérèglements climatiques ; ensuite les enjeux du développement durable englobent l’ensemble des pays de la planète ; enfin ils sont le fruit d’une consultation large d’un ensemble d’acteurs, comme la recherche, la société civile, le secteur privé ou les collectivités locales.

Cet Agenda 2030 vient en outre confirmer en 2015 la priorité au développement durable qui accompagne les Accords de Paris sur le climat, qui vise à limiter la hausse de la température mondiale à 2°C. Aussi, de manière plus spécifique à l’APD, le CAD de l’OCDE a répété l’objectif d’atteindre 0,7 % d’APD/RNB des bailleurs à plusieurs reprises sur le financement du développement, objectif qui n’est pas atteint collectivement.

Il semble difficile aujourd’hui pour les pays d’atteindre leurs engagements collectifs.

2.B) Vers un gap de financement de plus en plus important, ce qui accroît la demande en financements privés

Le PNUD estime que le besoin annuel afin d’atteindre les ODD est de 4 000 Mds USD dans les pays en développement[2] , dont seuls 1 400 Mds seraient honorés, ce qui laisse augurer aujourd’hui d’un gap de financement de plus de 2 500 milliards USD. Les Organisations Internationales appellent donc à un renforcement de l’appui des financements privés vers le développement, mais cette partie-là, bien moins transparente, diminuerait également. Ainsi selon Angel Gurria, « L’affaissement de de l’aide publique est particulièrement inquiétant car il fait suite à des données montrant que les apports privés en faveur du développement diminuent également »[3] .

Alors que les investissements et publics et privés baissent, il semblerait que le « temps politique » ait changé, et désormais l’APD et le développement en général soient passés dans un autre temps, n’étant plus une priorité pour les dirigeants des grands bailleurs mondiaux.

2.C) Vers une nouvelle donne politique qui délaisse davantage le financement du développement

En effet, comme l’expliquent Alexander Thier et Douglas Alexander, deux penseurs du développement[4] , au-delà de la crise du multilatéralisme qui survient aujourd’hui et concomitante à l’accession au pouvoir des partis nationalistes parmi les grands bailleurs (Etats-Unis, Royaume-Uni et Italie notamment), les impacts négatifs d’un changement climatique mondial ne sembleraient plus faire partie de leurs inquiétudes. La nouvelle donne politique depuis 2015 prendrait moins en compte les interdépendances entre les pays en matière de biens publics mondiaux (eau, air) en matière de climat. Les tensions autour des feux en Amazonie récemment ont pu illustrer cette nouvelle donne politique.

Il est ainsi à craindre, alors que le pouvoir des organisations internationales se réduit et que les enceintes multilatérales comme le G7/G20 montrent un intérêt décroissant en ce qui concerne le développement et le climat, que les financements vers les pays en développement ne diminuent davantage dans les prochaines années[5] . L’OCDE appelle même à transformer le cercle vicieux- où la tentation du protectionnisme entrave les financements extérieurs pour le développement, diminuant la croissance durable et inclusive, entraînant à son tour la baisse des financements extérieurs- en cercle vertueux. Cet effet stopperait rapidement l’espoir les efforts effectués afin d’atteindre les ODD, et augure mal de la capacité des pays à respecter les Accords de Paris.

Graphique 2- Transformer le cercle vicieux en cercle vertueux pour le financement du développement

Si les acteurs privés ne sont pas accompagnés, à travers par exemple une labellisation « ODD » de leurs financements, ou à travers un levier financier public, il est à craindre que les ODD ne soient atteints, et ne soient remplacés par un troisième agenda avec des objectifs similaires (après les Objectifs du Millénaire ou ODM).

Conclusion

Au-delà d’une simple constatation d’une baisse de l’APD mondiale ainsi que des flux privés vers les pays en développement, deux idées principales sont à retenir.

Premièrement, l’APD ne permettra pas, seule, d’atteindre les ODD à l’horizon 2030. Ceux-ci ne seront d’ailleurs que partiellement atteint, du fait qu’elle représente une part minime (3 à 4 %) des besoins financiers pour les pays en développement, que les indicateurs de résultats permettant de mesurer l’atteinte ne sont pas calculés pour les 2/3, et du fait que le gap financier provenant du secteur privé et représente 2 500 milliards d’USD par an. 

Deuxièmement, le moment politique actuel, avec le recul du développement des agendas des partis nationalistes au pouvoir entre autres aux Etats-Unis, en Italie et au Royaume-Uni d’une certaine façon, pourrait être fatal à l’atteinte des engagements internationaux en matière de développement et de climat.

Finalement, le rôle même de l’APD pourrait être remis en question si à l’approche de 2030, les pays échouent collectivement à atteindre les ODD et à limiter le réchauffement planétaire.

Jonathan est cadre de direction à la Banque de France actuellement chargé de l'analyse de risque de marché et de crédit à la Banque de France. Diplômé en Economie Internationale à Paris-Dauphine et à la PUC de Rio de Janeiro, ses centres d'intérêt portent sur les politiques monétaires et les équilibres macro-financiers au sein des économies émergentes ainsi que dans la zone euro.

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