Les effets indésirables de la Taxe Tobin

Résumé :

- La Taxe Tobin a été récemment adoptée par onze pays européens mais reste toutefois controversée.

- La Taxe Tobin présente plusieurs inconvénients majeurs : fuite de capitaux, effet de contournement de la loi et faibles recettes fiscales ;

- D’autres perspectives existent, comme la mise en place d’un matelas de capital ou d’une taxe spécifique aux banques systémiques.

Cette fois-ci, c’est officiel, la Taxe Tobin sera mise en place en Europe en 2014-2015. Plus précisément, elle le sera dans 11 pays européens : la France, Allemagne, Portugal, Espagne, Italie, Grèce, Estonie, Autriche, Slovaquie, Slovénie et la Belgique. Les autres pays européens, dont le Luxembourg et le Royaume-Uni, ne suivront pas le mouvement, ce qui pourrait avoir des conséquences très négatives sur la convergence entre les pays, notamment en termes de concurrence fiscale. Cette taxe sera opposable à toutes les transactions financières (bourses, sociétés d'investissement, fonds spéculatifs, actions, obligations…) à un taux de 0,1% (0,01% pour les contrats dérivés). Analyse.

La taxe Tobin a connu une histoire atypique. Elle d’abord été proposée par l’économiste libéral James Tobin pour stabiliser les marchés en plein développement après l’arrêt des accords de BrettonWoods, avant d’être récupérée, au grand dam de son initiateur, par certains mouvements altermondialistes. S’en sont suivies quelques apparitions dans des propositions du parti socialiste, avant que l’idée ne soit reprise par la droite après la crise. Toutefois, la résurrection brutale de cette taxe est sujette à de très nombreuses critiques.

 Une idée ancienne, jamais adoptée jusque-là en France

L’idée de l’adoption de la Taxe Tobin n’est pas récente. Elle découle directement d’un projet de directive rebuté en Europe faute de l’accord des 27. De plus, elle faisait partie du programme de Nicolas Sarkozy et l’idée d’une taxe du même type (au niveau mondial cette fois) avait déjà été soumise après la crise, mais Dominique Strauss-Kahn, alors directeur du Fonds Monétaire International (FMI), s’y était opposé jugeant ce système simpliste et très difficile à mettre en œuvre (notamment en raison du risque de fuite des capitaux vers des places non-taxées). L’ensemble de la sphère politique réfléchie depuis longtemps à ce mécanisme, permettant de gagner des recettes tout en se donnant une bonne image auprès d’une grande partie de la population.

Deux incertitudes majeures: les fuites de capitaux et les faibles recettes fiscales


Le système financier actuel, régit par la directive MIF de 2007, permet l’existence de "Dark Pools" et autres systèmes alternatifs, plateformes d’échanges opaques. Par conséquent, malgré toute la bonne volonté du monde, il serait absolument impossible de mettre en place une taxe sur la totalité des transactions. Même si la directive MIF est en cours de révision, la suppression des marchés alternatifs ne semble pas être à l’ordre du jour, et il faudrait de toute façon l’accord des anglais pour ce faire (ce qui est loin d’être gagné). La taxe ne pourra donc porter que sur les marchés règlementés, créant une forte disparité concurrentielle. Or, les services financiers ne sont pas comparables à des billets d’avion ou autres services matériels, ils sont par essence totalement immatériels, et peuvent donc faire très facilement l’objet d’arbitrage. Ainsi, même si chaque structure a aujourd’hui ses propres avantages et inconvénients, la présence d’une opportunité d’arbitrage forte entraînerait une fuite importante des échanges, ruinant l’attractivité de la bourse de Paris par rapport aux marchés alternatifs et autres dark pools, et contribuant par la même occasion à opacifier encore un peu plus la finance moderne.


Deuxièmement, les Etats-Unis et la Grande Bretagne sont actuellement fortement opposés à l’instauration d’une taxe Tobin, réduisant à néant les chances de voir ce projet adopté à l’échelle mondiale, ou même dans la totalité de l’Union Européenne. Or, la mise en place d’une taxe sur les transactions financières par un nombre limité de pays est vouée à l’échec, par des mécanismes d’arbitrage comme analysés précédemment. Et ce raisonnement n’est pas seulement théorique, puisque l’histoire le confirme. En effet, la Suède avait mis en place une taxe similaire en 1986, expérience qui fut arrêtée 4 ans plus tard devant l’échec flagrant de la mesure : les recettes générées furent décevantes et la taxe provoqua une fuite de capitaux importante hors du pays. De plus, aucun pays ne pratique cette taxe à l’heure actuelle, hormis nos 11 mousquetaires européens qui l’adopteront prochainement. De la même façon, le droit de timbre, équivalent d’une petite taxe Tobin touchant uniquement les capitalisations boursières de plus de 1 milliard d’euros, n’a rapporté que 250 millions d’euros à la France depuis en 2011 (période de 5mois entre son introduction et la fin de l’année), contre 1,1 milliard annoncé. Le montant des volumes sur ces titres auraient baissé de 18%, tandis que les volumes sur les autres titres ont bondi de 16% sur la période. Cet exemple est le signe qu’une taxe Tobin en Europe rapportera bien moins que les 10 à 30 milliards annoncés (qui représente déjà une fourchette très large) et qu’elle aboutira à un déplacement des flux vers les marchés opaques.


A la vue des arguments présentés, on peut penser que bien loin de combler le déficit de l’Etat, une taxe sur les transactions financières s’avèrerait être particulièrement néfaste.


Une autre alternative existe, ciblant la cause du problème


Si nous nous permettons d’être virulents face à la taxe Tobin, c’est que d’autres solutions, bien meilleures de notre point de vue, existent. Comme nous venons de le voir, la mise en place d’une taxe sur les transactions financières au niveau international n’est pas envisageable, et tant bien même que l’ensemble des pays majeurs l’approuveraient, il resterait toujours le problème du développement de places off-shores, qui deviendraient de nouveaux « paradis fiscaux » pour les opérations financières.


Une solution viable dans une économie globalisée et interconnectée comme la nôtre ne peut exister qu’à l’échelle mondiale. Or, il s’avère que le G20 a proposé des solutions extrêmement pertinentes. Commençons par préciser que la crise de 2007 a principalement été causée par les grandes banques présentant un risque systémique. Ce sont elles qui ont véhiculé les subprimes et répandu la crise à l’échelle planétaire. Par ailleurs, ces banques sont appelées « toobig to fail », engendrant ainsi un problème d’aléa moral : elles peuvent faire ce qu’elles veulent puisqu’elles savent qu’elles seront secourues par l’Etat en cas de faillite. Face à ce problème, l’Etat peut faire un exemple (comme ce fut le cas pour LehmanBrothers avec les conséquences que l’on sait) ou essayer de mettre en place des règles prudentielles pour limiter ce risque. C’est d’ailleurs tout l’objectif des accords de Bâle 3, de la loi Dodd-Franck aux Etats-Unis ou encore de la proposition du G20.


Celle-ci, que nous soutenons grandement, contraindrait les banques présentant un risque systémique (entre 20 et 30 à l’heure actuelle, dont quatre banques françaises) à augmenter leur capital d’environ 2,5%. Ce matelas de sécurité plus important permettrait de limiter le risque de faillite, et donc l’impact d’un tel évènement sur le monde, sans pour autant "perturber l’économie réelle ou faire appel aux contribuables". Ce mécanisme pourrait même être poussé à son paroxysme en instaurant une taxe sur les banques ayant un risque systémique, qui alimenterait un fonds de sauvetage mondial intervenant en cas de problème. Certains diront que cette assurance entraînerait l’apparition d’un aléa moral pour ces banques, mais comme celui-ci est déjà présent, l’assurance ne pourra être qu’un plus.  

Conclusion

Il existe de nombreux arguments nous permettant de conclure que, de par son côté néfaste et les expériences passées, une taxe Tobin appliquée uniquement en France ou dans une partie restreinte de l'Europe n’est pas une bonne solution, bien au contraire. D’autres propositions, comme le renforcement des règles prudentielles à l’échelle mondiale, semblent bien plus propices dans la situation actuelle.


 

Références :

« A fair and substantial contribution by the financial sector interim report  for the G-20”, FMI, Avril 2010.

« Taxation sur le secteur financier », Commission européenne, document de travail n°25, 2010.

Commission Européenne, Directive concernant les marchés d’instruments financiers (MIF).

Taxe sur les Transactions Financières (TTF), loi n°2012-354.

 

Diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en banque et finance, Benjamin Roger est analyste financier en fusion-acquisition. Ses centres d’intérêts portent sur les politiques de croissance et les marchés financiers.

 

Diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Lyon, Loïc Morand est analyste financier en fusion-acquisition. Ses centres d’intérêts portent sur la finance d’entreprise et l’évaluation des actifs financiers.

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